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KYUKA, AVANT LA FIN DE L’ÉTÉ

En plein été, Babis, père célibataire, embarque ses jumeaux, Konstantinos et Elsa, sur l’île de Poros pour des vacances en mer. Entre baignades, rires et nouvelles rencontres, une révélation bouleverse leur insouciance : sans le savoir, ils croisent leur mère biologique, disparue depuis leur enfance. Un été où les illusions s’effritent, où le passé refait surface, et où grandir devient inévitable. 

Cycle Hello Summer

Comme nombre de réalisateurs débutants, le premier film de Kostis Charamountanis est une adaptation d’un court-métrage homonyme, une œuvre de 18 minutes, filmée au caméscope, présentant plusieurs moments de vie d’une fratrie dans un montage frénétique, parfois psychédélique. Si la transformation d’un essai réduit au format long peut paraître parfois trop ambitieuse, l’idée semble ici avoir trouvé son plein potentiel en prenant le contre pied du projet originel. Kyuka, avant la fin de l’été prend son temps, avance aussi lentement qu’un voilier contre le vent, mais cette apparente mollesse est précautionneuse : le calme plat n’existe qu’en surface, au fond des eaux, le courant bouillonne prêt à briser une mer d’huile idyllique. 

Kyuka se veut être un faux film de vacances, une sorte d’album photo en mouvement dont les instants capturés représentent les plus beaux moments d’un court laps de temps. Si le soleil hellénique fait baigner une Grèce splendide dans une lumière égayante, ce n’est pas pour autant que l’ensemble rayonne. Le secret de Kyuka, ce sont les non-dits, les choses englouties sous les flots que personne n’ose affronter. À travers un long-métrage à la forme trompeuse, Kostis Charamountanis met en exergue des liens familiaux irréparables dont l’océan est un catalyseur. Le bleu de l’eau attire l’œil afin de mieux masquer une paternité mise à mal, une famille en train de se briser malgré les efforts de chacun pour conserver un semblant de complicité.

Kyuka

L’exercice pourrait paraître laborieux de par sa lenteur volontaire, mais derrière la vague, Kyuka délivre une tragédie estivale portant sur des ruptures intérieures. A l’instar d’un cliché photographique, les personnages semblent figés dans un état de stase, tous restent muets par peur de dévoiler l’envers d’un décor familial en plein naufrage. La beauté du paysage n’est qu’un leurre, ces vacances rêvées ont un goût amer. 

Le père de famille, Babis, (Simeon Tsakiris) est maître à bord de par son seul déni ; lui qui s’exile sur un petit canot à chaque journée, espérant pêcher une prise qui ne vient jamais. Tout ce petit monde s’éloigne à mesure que le temps passe, malgré l’espace restreint du monocoque. Le groupe se brise, pinacle de l’implosion étant l’entremêlement de deux familles, celle de Babis composée de ses deux enfants ainsi qu’une autre, celle de son ex-femme. Sa progéniture lui glisse entre les doigts malgré sa pseudo bonne volonté à vouloir passer un dernier été réunis. L’indubitable nostalgie servie par les images rappelle l’œuvre d’origine, mais le format long a permis d’y inséminer une dimension plus dramatique, moins innocente. La traversée des eaux grecques n’est pas qu’un souvenir comme les autres, la fin de l’été c’est aussi la fin d’une pause, d’une courte fenêtre durant laquelle cette famille aux divergences dissimulées peut tenter de renouer. 

Kyuka

Une fois l’été à son terme ne resteront que les images d’un film de vacances ne racontant à première vue pas grand chose, si ce n’est une dernière tentative, une ultime saison pour espérer redevenir unis. S’installe parfois comme une sorte de malaise en tant que spectateur·rice de ses captures vidéos, comme si le public se trouvait à la place d’un invité extérieur, obligé de regarder les photos du dernier voyage en date d’une quelconque famille étrangère.

Kyuka est finalement une sorte d’intrusion, les deux effets visuels ouvrant et clôturant le long-métrage en sont d’ailleurs les meilleurs témoignages : si notre première porte vers l’œuvre est un écran de caméscope bleu électrique au sein duquel trône un modeste « play », la fin revient sur cette image, dé-zoomant progressivement comme si les spectateur·rices pouvaient enfin prendre du recul sur ce qu’ils venaient de visionner. Ainsi, Kyuka ne laisse pas indifférent tout en nous laissant impuissant face à des personnages en manque de communication. L’été pourrait être si beau sans ce mutisme absurde, mais cet été là est déjà passé et plus que jamais, nous n’en avons été que les spectateurs indiscrets, incapables de dire si ce souvenir est à garder ou à oublier pour l’éternité. 


Toujours en salle – De Kostis Charamountanis

Cycle Hello Summer