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GREEN BORDER

Ayant fui la guerre, une famille syrienne entreprend un éprouvant périple pour rejoindre la Suède. A la frontière entre le Belarus et la Pologne, synonyme d’entrée dans l’Europe, ils se retrouvent embourbés avec des dizaines d’autres familles, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires aux méthodes violentes. Ils réalisent peu à peu qu’ils sont les otages malgré eux d’une situation qui les dépasse, où chacun – garde-frontières, activistes humanitaires, population locale – tente de jouer sa partition…

CRITIQUE DU FILM 

C’est une tâche ardue de résumer la filmographie et la carrière de la réalisatrice polonaise Agniezska Holland. Active depuis les années 1970, elle a arpenté de nombreux pays, et déployer ses talents tant au cinéma, avec le remarqué Europa, Europa (1990) ou Rimbaud/Verlaine, un des premiers films de Leonardo di Caprio en 1995, qu’à la télévision. On la retrouve dans l’univers de David Simon, sur The Wire ou Treme, à la réalisation de plusieurs épisodes, ou encore sur House of Cards entre 2015 et 2017. C’est peu dire que de constater qu’elle change complètement d’univers avec Green Border, nouveau long-métrage tourné intégralement en Pologne, autour de ces nombreuses frontières avec la Biélorussie et l’Ukraine. C’est un des épicentres de la migration de population avec la Méditerranée, avec tous les problèmes de contrôles et de violences que cela peut sous-entendre.

Pour affronter ce lourd sujet, la réalisatrice choisit de faire basculer son regard sur à la fois des familles syriennes fuyant leur pays pour gagner la Suède, mais aussi des polonais et polonaises qui ont décidé d’assister ces personnes maltraitées par l’armée de leur pays. Le spectateur assiste médusé à une lutte entre l’armée polonaise et biélorusse, considérant les migrants comme des ballons qu’ils se lancent de par et d’autre des barbelés qui les séparent, sans aucune considération pour la vie humaine, et notamment les enfants qui composent ces groupes. La première heure du film dépeint un portrait extrêmement noir de ces troupes chassant les réfugiés, dans une zone interdite à la population locale sous peine d’arrestations et de violences à l’encontre des contrevenants.

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Le bon goût d’Agnieszka Holland est d’avoir mis en place un dispositif qui bascule l’attention sur une femme d’une cinquantaine d’années, psychologue aisée vivant près de la zone interdite, qui a une prise de conscience et décide d’aider un collectif oeuvrant dans la région. Toute cette partie permet d’attester de l’existence de petites factions d’habitants locaux mobilisés pour soigner et sauver des vies, cela contre leur propres forces armées. Là encore il y a de nombreuses zones grises, les militants étant divisés entre des membres plus radicaux, qui vont jusqu’à risquer leurs vies et des arrestations punitives pour ne pas laisser les réfugiés dans le froid et l’humidité de forêts où ils sont traqués dans ce jeu de ping-pong inhumain.

Le dernier aspect qui finit d’enrichir la vision du film est l’attention portée à un de ces gardes frontières. On assiste à l’endoctrinement militaire de chef de caserne qui ont pour mission de fanatiser leurs troupes, leur faisant croire à une percée terroriste sur leur terre, transformant des familles en fuite en kamikaze fourbes planifiant une invasion de la Pologne. On reconnaît ici les arguments utilisés par la propagande pro-russe, qui pour diviser accuse « l’ennemi » d’être le mal incarné contre lequel il faut lutter. Ce jeune futur père de famille est regardé par le biais d’un trouble qui l’envahit peu à peu, jusqu’à un basculement magnifique et tremblant qui donne des lettres de noblesse magnifiques et subtiles à Green Border dans ses dernières minutes.

La terreur du récit trouve un écho non moins abominable dans la propre vie d’Agnieszka Holland, menacée de mort dans son pays pour avoir réalisé ce film. Le paradoxe est que celui-ci, sorti en septembre dernier, trouve un public nombreux et réceptif, preuve que le pays est fracturé entre un nationalisme haineux et un appel à l’humanité et la prise en compte des souffrances innombrables de populations fuyant la mort pour en trouver une autre tout aussi horrible. Le noir et blanc glaçant de la photographie finit de figer les corps dans un état de torpeur palpable. C’est un document éloquent et traumatisant que ce Green border qu’il est bien difficile de laisser de côté une fois le générique arrivé.

Bande-annonce

7 février 2024 – D’Agniezska Holland

avec Jalal Altawil, Maja Ostaszewska et Tomasz Wlosok.


Festival de La Roche-sur-Yon 2023




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