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BLUE COLLAR

Trois ouvriers des usines automobiles Checker à Detroit tentent de s’opposer à l’immobilisme et à la corruption du syndicat.

Tragédie de classe

Premier film réalisé par Paul Schrader, Blue Collar (1978) raconte l’histoire de Zeke (Richard Pryor), Jerry (Harvey Keitel) et Smokey (Yaphet Kotto), trois ouvriers travaillant dans une usine automobile à Détroit. Révoltés par la passivité de leur syndicat face aux comportements scandaleux de la direction, ils décident de cambrioler leur bureau, et mettent la main sur plusieurs documents compromettants. Leur chantage auprès des dirigeants syndicaux se fera malheureusement au péril de leur vie.

Le terme de « film social » est aujourd’hui quelque peu galvaudé, attribué à tort et à travers à des œuvres trahissant leur critique au nom d’une fin incohérente, héroïque et donc « anti-sociale ». Ne perdons pas notre sang froid, et rappelons qu’un film social est avant tout une œuvre questionnant une ou plusieurs dimensions du social (la classe, la race au sens social-culturel du terme, le sexe et la génération), et qui refuse la « happy end », au nom de la cohérence sociologique et politique. Cette définition a été donnée par Siegfried Kracauer, l’une des figures de proue de la théorie critique allemande, héritière de Karl Marx.

Schrader a déclaré qu’il a été marxiste six mois de sa vie, le temps d’écrire Blue Collar. Toujours radicalement dévoué à son sujet et à ses personnages, il a eu l’audace de réaliser une première oeuvre qui n’est pas tant le portrait des syndicats, qu’une chronique sur la violence sociale intrinsèque à la classe ouvrière. La ligne directrice est claire : les classes populaires s’attaquent entre elles au lieu d’attaquer les classes supérieures, reconduisant de facto la violence des rapports de classes, sans même s’en rendre compte. 

Renoncer à la colère pour survivre ?

L’alliance de Zeke, Smokey et Jerry contre leurs supérieurs nous donne pourtant une lueur d’espoir : deux noirs et un blanc polonais, unis par une même colère (la précarité économique), et solidaires dans l’adversité, tout du moins pour un temps. L’espoir se conjugue difficilement avec la critique sociale, marchant sur les platebandes d’un idéalisme problématique. Dans la réalité, ce sont les puissants qui gagnent, à n’importe quel prix. C’est alors que Schrader a une idée de génie, en incarnant sa critique par le prisme du thriller paranoïaque, voire du film de gangsters. On pense notamment à l’incroyable séquence de course poursuite entre des tueurs à gage et Harvey Keitel, exténué par ses nuits à veiller dans son salon. Ces trois personnages sont intelligents, aussi est-ce pour cela qu’ils ont conscience du danger. L’un d’entre eux n’en ressortira pas vivant, tandis que les deux autres ne seront plus les mêmes hommes. Deux « vendus », l’un au syndicat, l’autre au FBI, et qui ont renoncé à leur colère par instinct de survie. 

La conscience de classe évanouie, les tensions raciales renaissent. Au travers d’une incroyable séquence finale, Schrader montre avec une épatante efficacité la tragédie de la classe ouvrière, qui troque sa révolte sociale-économique contre une révolte raciale, symptomatique d’un entre-déchirement orchestré par le pouvoir lui-même. Une fin aussi sombre qu’implacable, qui érige Blue Collar au rang de coup de maître dont l’exigence inspire autant qu’elle donne à réfléchir.


Dans la tête de Paul Schrader, du 8 janvier au 2 février 2020 au Forum des Images


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