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UN APRÈS MIDI DE CHIEN

New York, dans le quartier de Brooklyn trois amateurs décident de cambrioler une banque. Problème : ils n’ont en rien l’âme de braqueurs, et encore moins de professionnels. Petit à petit, le hold-up devient prise d’otage, et malgré eux, l’affaire prend des proportions démesurées.

 

Sonny, thank you for the smile upon our face.

C’est le défaut d’avoir une carrière mythique et un talent hors-norme : au moment de citer les plus belles oeuvres d’un artiste, il faut nécessairement sacrifier quelques références sur l’autel de la concision. C’est ainsi que Un Après-Midi de Chien, traduction littérale de Dog Day Afternoon en VO, est bien souvent mis de côté lors des conversations autour de la divinité Al Pacino. Il est pourtant de bon ton de classer son rôle de Sonny, braqueur branque au grand coeur, avec ses prestations dans Le Parrain, Scarface ou Heat.

Sidney Lumet retrouve Al Pacino 4 ans après Serpico. Le réalisateur est alors, au milieu des années 70, au sommet de sa reconnaissance publique et critique. Les nominations pleuvent, et Lumet vient de faire un sacré bruit avec Le Crime de l’Orient-Express. Un Après-Midi de Chien est l’occasion de revenir dans son New York de coeur. Un retour passionné, tendre et amoureux. En témoigne la séquence d’ouverture du film, hymne à la diversité culturelle et sociale de la ville. Entre tous ces individus qui s’affairent à leur occupations, bien sûr d’eux et de leur trajectoire familiale ou professionnelle, trois huluberlus se garent au volant d’une berline d’époque au frein-moteur. Qu’est-ce qui pourrait donc mal tourner en décidant de braquer une banque au coeur de Brooklyn ?

On boucle ça en 10 minutes, les gars

Al Pacino a de grands yeux humides et les cheveux ébouriffés. Porteur d’une humanité honnête, Sonny semble déjà dépassé alors qu’il n’a pas encore fait tourner les rouages simplistes de son plan. A ses côtés, un Sal pâlot (superbe John Cazale), quasi-autiste et contre-point rythmique à la Coen, et Stevie (Gary Pringer), jeune embringué qui sent bien rapidement le souffre. Un Après-Midi de Chien ne donne quasiment aucun contexte à ces personnages. A raison. Quel serait l’intérêt de naviguer dans les prémices des vies de Sonny et Sal, celles de classes populaires oubliées et oubliables, entre-deux insipides, parias sans destin dont le fatalisme consiste à n’exister aux yeux de personne ? Alors, en ultime tentative de reconnaissance, plus que pour une quelconque raison pécuniaire, ce hold-up. Le début de leur vie. Le début de leur show.

Loin des impératifs de narration et de photographie des scènes de braquage, Un Après-Midi de Chien préfère épouser ses personnages. Dès les premières minutes du film, Lumet embrasse les hâtes et les tâtonnements de ses personnages. Maître du huit-clos, le cinéaste adapte sa réalisation, tantôt effrénée à mesure que les courses et les gueulantes se multiplient, tantôt figée d’effroi lorsque les éclairs de conscience font perdre leurs moyens aux protagonistes. Pas de musique : Lumet conserve ses harmonies strictement diégétiques. Ce faisant, il évite l’écueil de la sur-glorification – un luxe que le cinéaste peut se permettre grâce au charisme naturel hors-norme de Pacino et Cazale, et à une science sans pareille de la mise en scène.

Alors que la police, les médias et le grand public s’affairent, sur la rue d’en face ou derrière leur écran de télévision, Sonny se délecte bien plus d’être le centre de toutes les attentions plutôt que de palper du billet à n’en plus finir. Sa seule réaction à l’ouverture des coffres ? “Il y en a beaucoup trop”. L’argent ne fait pas le bonheur. Le regard des autres, oui. Qu’il soit condescendant, intéressé, attentif ou apeuré, cela n’a pas grande importance. Les yeux de Sonny pétillent lorsqu’il s’entend retransmis à la télévision. Ce gaillard maladroit, infoutu d’assurer son autorité et écrasé par une cadre-sup au génie pragmatique magistral (Penelope Allen), se dote soudain du bagout d’un animateur radio de funk pour haranguer les foules. Le trottoir se transforme en planche de scène de théâtre improvisé, dont il en préserve férocement l’espace d’expression – une de ses seules marques d’agressivité à travers le film.

Quart d’heure de gloire et prémonitions

Difficile de ne pas inscrire une parenthèse ici. Difficile de ne pas voir, dans ce cirque médiatique sans recul, tout en cris et en réactions hébétées, un parallèle flagrant avec quelques réalités actuelles. Le rêve de l’accession au quart d’heure de gloire de tout individu. L’abrutissement pour l’honneur de figurer sur un écran. Pour ne pas être, comme Sonny avant son braquage, un oublié de plus. Et ce public, là, dehors, tout près, prompt à siffler connement dès qu’un homosexuel effleure de la main un autre homme, à beugler chaque slogan sans en comprendre vraiment les enjeux, à rire aux éclats au moindre slapstick ou à la moindre peau de banane, à s’empoigner pour quelques dollars jetés froissés par terre, à violenter ceux qui s’en prennent à leurs idoles, puis à enterrer ces dernières dès que l’identification ne prend plus. Soit la prémonition des fanzouzes, avec 40 ans d’avance.

Alors que Un Après-Midi de Chien plonge lentement du cirque à la tragédie distanciée, Lumet recentre son propos autour de l’individu. Il s’approche de Sonny, évidemment, personnage central de toute cette mascarade, et de sa relation avec son fiancé Leon. Il n’y a plus qu’un couple, une ligne de téléphone, et des sentiments exacerbés. Et là encore, une prophétie : l’abolition de la vie privée. L’écoute par la police de leur conversation, sa retransmission dans les journaux, son jugement par les masses et leurs conventions morales respectives. La lumière du projecteur n’est pas réservée à la scène. Elle suit son sujet jusque dans la profondeur de son être. Bientôt, alors même que sa voix résonne aux oreilles de tous, Sonny perd toute faculté de communication, comme s’il parlait une langue tribale. La preuve qu’on est jamais plus seul qu’au milieu de la foule.

Rarement un film n’aura été à la fois aussi tendre et froid à la fois envers les classes populaires. Si l’empathie est immédiate envers Sonny, la foule passe peu à peu de figure de soutien à un ogre bouffon, pas bien plus glorieux que les antagonistes naturels d’une telle situation, incarnés par la police et l’administration. Rabaissé par tous les moyens possibles, individuellement, socialement, économiquement, il devient le martyr de la société du spectacle et de la parure. On peut juger et jauger tant qu’on veut les badauds qui se pressent sur le trottoir : on rit et on mate autant qu’eux les pérégrinations d’un duo de braqueurs héroïque et lamentable. Entre le jugé et le jury, il ne manque que le juge : les médias. Un an plus tard, Lumet sortira Network.

La fiche

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UN APRÈS-MIDI DE CHIEN
Réalisé par Sidney Lumet
Avec Al Pacino, John Cazale, Penelope Allen… 
Américain – Policier, thriller

Sortie en salle : 30 janvier 1976
Durée : 130 min

 




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