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AU CIMETIÈRE DE LA PELLICULE

En 1953, Mamadou Touré réalise « Mouramani », le tout premier film réalisé par un cinéaste d’Afrique francophone noire. Mais personne ne sait où le trouver. Thierno Souleymane Diallo parcourt la Guinée à la recherche de cette œuvre perdue, utilisant sa caméra pour se confronter à l’Histoire et au cinéma, celui que l’on regarde et celui que l’on fait.

Critique du film

Le réalisateur choisit une forme légère et faussement naïve pour questionner l’Histoire, la mémoire et la conservation des films. Caméra au poing, micro dans le dos, il se met en scène dans la peau d’un chasseur de pellicule. Son enquête, de prime abord assez dilettante, se révèle, de fil en aiguille (dans une botte de foin), passionnante.

Les documentaires à la recherche des trésors perdus du cinéma sont en passe de devenir un genre en soi. S’il n’y a aucune raison de s’en plaindre, le constat est celui d’un âge d’or désormais révolu est au coeur de ces pépites. Talking about trees, cachait derrière l’incroyable optimisme de ses papys résistants, une réalité bien désolante quant à la place du cinéma au Soudan. Sur le continent américain, Dawson city, contait l’invraisemblable histoire des pellicules retrouvées, 50 ans après avoir été enfouies sous terre, conservées dans le permafrost du grand nord. Loin de l’Alaska, Thierno Souleymane Diallo croit lui aussi à un possible miracle quand il se met en route, sur les traces du premier film francophone d’Afrique subsaharienne, Mouramani, réalisé en 1953 par son compatriote Mamadou Touré. Au fil des rencontres, on s’aperçoit que cette quête du film premier est à la fois une obsession et un prétexte. C’est évidemment aux anciens qu’il s’adresse en priorité, dépositaires d’une mémoire à laquelle il espère arracher des images oblitérées.

Derrière le paravent Mouramani, qu’on s’attend, en dépit de tout raison, à voir surgir du moindre gourbi, se dévoile une histoire du cinéma en Guinée et plus largement en Afrique de l’Ouest. De ville en village, Diallo traverse une désolation : cinémas fermés, bobines à l’abandon, poussière et vestiges. Restent les souvenirs et les traces. Ici un cimetière de pellicule, là une liste de films enterrés, perdus à jamais. En Afrique on n’a pas la culture des archives dit un homme qui ne souvient plus vraiment si il a vu, jadis, le film de Mamadou Touré. L’Histoire se dessine par strates. Fut un temps où Conakry briguait le titre de capitale africaine du cinéma. Les structures et les compétences laissaient entrevoir un avenir éclatant. Deux événements politiques furent successivement fatals : l’opération Mar Verte, le 22 novembre 1970, visait à faire tomber le président Sékou Touré. Les purges qui s’en suivirent propulsèrent en prison nombres d’acteurs du secteur culturels, considérés comme potentiellement séditieux, et donnèrent un brutal coup d’arrêt aux projets en développement. La mort de Sékou Touré, 14 ans plus tard, plongea le pays dans l’instabilité. La Cinémathèque ne survécut pas ni, au tournant du siècle, l’exploitation en salle.


Les enfants sont aussi très présents. Ils accompagnent le cinéaste dans son parcours, jouent à la guerre devant sa caméra puis émerveillés et hilares, se regardent sur grand écran. Diallo cherche, avec ses tous petits moyens, à combler la distance entre les générations, à recoudre une toile déchirée. Les enfant savent ce qu’est un film mais ne savent plus ce qu’est le cinéma. Ce n’est pas leur faute, il ne l’ont jamais connu. Et les anciens, peu à peu, oublient. Ainsi le projet du documentariste prend, à mesure que le film avance, une belle étoffe. Aux dispositifs créatifs (une évocation de la prison avec des figurines en fil de fer, une caméra en bois pour signifier le manque de moyen, déjà dénoncé pour justifier le fait d’arpenter le pays pieds nus) mis en place dans la partie africaine, répondent des séquences plus pédagogiques, alors que Diallo s’est résolu à partir en France, où les aînés lui certifient qu’il trouvera son trésor.

Il faut garder le suspens entier… On se contentera, pour conclure, d’adapter le célèbre diction, lui même dérivé d’un discours d’Amadou Hampâté-Ba à l’UNESCO : un vieillard qui meurt, c’est une cinémathèque qui brûle. Pétri de cinéphilie, Au cimetière de la pellicule oscille joliment entre la nécessité de la conservation et la beauté de la légende.

Bande-annonce

5 juillet 2023De et avec Thierno Souleymane Diallo.