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SI TU ES UN HOMME

Mine d’or de Perkoa, Burkina-Faso. Opio a 13 ans et travaille en surface, gagnant pour seul salaire un sac de cailloux par mois. Son père souhaite qu’il intègre une formation professionnelle, mais il ne peut pas payer les frais de scolarité. Opio doit donc réunir cet argent et demande à son patron une faveur : le droit de descendre dans les galeries souterraines où l’on dit que les hommes peuvent devenir riches.

Critique du film

C’est le 5e film documentaire que Simon Panay tourne en Afrique occidentale. Ce premier long métrage met en lumière dix ans de travail et un regard qui ne cesse d’explorer les mystères d’un continent si proche et si lointain. Après le Bénin pour Ici, personne ne meurt qui prenait déjà pour cadre une mine d’or, le réalisateur a posé sa caméra au Burkina Faso. Si tu es un homme aborde, à travers le portrait d’un adolescent, la question du travail des enfants et de l’accès à l’éducation. Sans juger ni dramatiser, le film saisit une réalité alarmante tout en se nourrissant de l’inépuisable énergie de son orpailleur en herbe.

Marchand de cailloux

Opio avance, montre la voie et la caméra le suit. Deux ans de la vie de ce gamin, où tout se joue pour lui, résumées en 80 minutes, dures, denses et décisives. Lui et ses camarades habitent le territoire d’une mine artisanale, à la fois terrain de jeu et cour des grands, où côtoyer les adultes chasseurs de pépites. De quoi aussi prêter main forte et gagner quelques cailloux à gratter dans l’espoir d’y trouver de la poussière d’or. Il rejoint sa famille, son père, ses deux femmes et leurs 5 enfants, une fois par semaine. Nous apprenons qu’il a quitté le foyer soucieux de soustraire une bouche à nourrir à ses parents pauvres. Mais Opio voudrait reprendre le chemin de l’école, apprendre à lire, à écrire et suivre une formation qualifiante. Son père l’encourage mais ne peut subvenir aux frais d’inscription (35 000 francs CFA avec les équipements, soit 53 euros). Pour le garçon, la solution se trouve au fond de la mine.

Si tu es un homme

Double extraction

Il y a, dans le mouvement incessant d’Opio, la volonté de trouver la clé. Simon Panay filme une double extraction, sociale et minière. Descendre attaché à une corde pour monter dans l’ascenseur social. Descendre, c’est se confronter aux grandes peurs et forcer sa chance. C’est accentuer sa vulnérabilité et espérer gratter le bon cailloux. Opio arpente les boyaux de la terre comme on achète un billet de tombola. « Tu cherches un fantôme ? » lui demande son père qui trouve que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Mais Opio y retourne, torche fixé au crâne, la mine exerce une attraction addictive. Oubliée la petite frousse de la première descente qui lui redessinait les traits de l’enfance, oubliée la chanson qu’il entonnait pour se donner du courage. Un seul objectif, une obsession : remonter assez d’or pour retourner sur les bancs de l’école.

La caméra colle à Opio, jour et nuit, dans un mouvement que le garçon lui-même, semble commander. Descente, extraction, remontée, concassage et examen fébrile de la poussière de roche, au mieux quelques grammes délicatement déposés dans un sachet puis âprement négociés. Cet investissement ne pouvait être trahi par le réalisateur qui, en dépit des risques encourus, a choisi d’accompagner Opio jusque dans les boyaux de la mine. La fascination qu’exerce Opio sur le réalisateur est aussi puissante que celle que produit la mine sur lui-même. Avec son t-shirt jaune, son regard concentré et sa rare rage de réussir, Simon Panay a trouvé sa pépite.

Le cinéma documentaire est précieux quand il embrasse le particulier et le collectif, digne quand il raconte sans asséner, honnête quand il accompagne sans arbitrer. Au moment de quitter Opio, difficile de ne pas repenser, la gorge nouée, aux premiers vers du célèbre poème de Kipling, If, auquel le titre du film renvoie indirectement : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, sans un geste et sans un soupir »

Bande-annonce

1er mars 2023De Simon Panay




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