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NOUVELLE VAGUE

Ceci est l’histoire de Godard tournant « À bout de souffle », racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant « À bout de souffle ».

Critique du film

La Nouvelle vague a toujours été présente dans le cinéma de Richard Linklater. On reconnaît chez lui, depuis ses débuts, une semblable fraîcheur, un goût pour les expérimentations narratives et une sensibilité générale : il est difficile de ne pas faire le lien entre son sens du verbe pour raconter la profondeur des sentiments amoureux et celui d’Éric Rohmer, Linklater ne cessant de créer des échos dans son œuvre avec celle du réalisateur des « Contes des quatre saisons ». Ce n’est donc pas une surprise de le voir s’attaquer frontalement à un autre monument de cette Nouvelle vague qu’il chérit tant, en choisissant de raconter le tournage d’À bout de souffle. À travers le récit de la fabrication de ce film phare, il réalise un faux making-of réjouissant parsemé de scènes « remakées » du long métrage de Jean-Luc Godard.

Ce qui saute d’abord aux yeux, c’est le plaisir fétichiste communicatif avec lequel Richard Linklater redonne vie aux lieux et aux protagonistes de la Nouvelle vague : le bureau des Cahiers du cinéma, les cafés du Quartier latin dans lesquels s’échangent les idées et naît une solidarité, les salles de projection, tout ce qui fait la vie parisienne artistique et cinéphile foisonnante du début des années 1960. Outre les principaux collaborateurs du film de Godard, en croise celles et ceux qui gravitent autour de lui, de Jacques Doniol-Valcroze à Pierre Kast en passant par Agnès Varda ou les figures tutélaires de Robert Bresson et Jean-Pierre Melville. La présentation de ces personnalités face caméra avec leur nom en sous-titre donne l’impression de regarder ce film comme on ouvrirait un album de photos de famille ou on parcourrait une biographie illustrée.

Pour remettre la genèse d’À bout de souffle dans son contexte, la chronologie des faits est soigneusement rappelée. Jean-Luc Godard est le dernier de la bande des Cahiers (Chabrol, Rivette, Rohmer et Truffaut) à passer à la réalisation, il souhaite défaire autant que faire et peut compter sur son esprit érudit autant que sa forte envie de jouer avec les codes établis du cinéma. À travers un enchaînement un peu trop linéaire de séquences – les jours de tournage se suivent sagement les uns après les autres – on assiste à la création d’un film qui ne semble d’abord exister que dans le cerveau de Jean-Luc Godard, tant ce qu’il s’y joue n’est pas conventionnel, avançant sans plan de travail ni scénario abouti, avant de donner lieu au résultat que l’on connaît.

Nouvelle vague film

Tel est l’horizon de quelques cinéastes élus par le temps : se transformer en personnage de cinéma. Jean-Luc Godard devient ici un être de fiction qui est celui qu’il a lui-même créé de son vivant, parfois jusqu’à la caricature. Guillaume Marbeck est excellent dans le rôle du cinéaste, avec ses lunettes de soleil et son phrasé reconnaissable entre mille. On ne pense jamais à l’acteur, toujours au personnage, et même à un personnage en train de se créer, Godard trouvant à la fois son identité de cinéaste et son personnage public. Il en est de même avec Zoey Deutch dans le rôle de Jean Seberg, qui nous rappelle que la comédienne à jamais associée à son personnage d’À bout de souffle semblait désorientée par ce tournage qui ne ressemblait à aucun autre.

Avec Nouvelle vague, Richard Linklater s’adresse autant aux passionnés du mouvement qu’aux novices. On pressent que l’un de ses projets est sa visée pédagogique, comme en témoignent quelques dialogues explicatifs des révolutions formelles et esthétiques opérées par Godard et ses compères. Ainsi le choix de tourner dans la rue et de faire des passants des figurants à leur insu, ou de décider en salle de montage de couper à l’intérieur des scènes, formalisant le jump cut. Ce film s’apparente à une porte d’entrée récréative et sans prétention dans la Nouvelle vague, joyeuse reconstitution qui ressuscite une époque merveilleuse du cinéma dont toute nouvelle génération de réalisateurs pourra toujours, aujourd’hui et à l’avenir, se nourrir.


8 octobre 2025 – De Richard Linklater 

Avec Guillaume MarbeckZoey DeutchAubry Dullin


Cannes 2025 – Compétition