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LE SOUFFLE AU COEUR

Dans les années 1950, Laurent vit la vie d’un adolescent de 14 ans dans une famille bourgeoise de province. Il est élève d’un collège religieux et participe à un groupe de scouts. Son père gynécologue est souvent absent et Laurent passe son temps à écouter du jazz et à chahuter avec ses frères de 16-17 ans qui le dévergondent. Son plus grand réconfort est sa mère, une belle et jeune femme d’origine italienne, joyeuse mais désenchantée par le train-train quotidien. Lorsque Laurent se voit atteint d’un souffle au cœur qui le pousse à aller en cure, sa relation avec sa mère se resserre plus que jamais.

GRANDIR VITE

Aujourd’hui, on appellerait ça un film « coming of age ». Au début des années 1970, c’était juste l’histoire d’un adolescent qui entre dans l’âge adulte, et c’est déjà beaucoup. Outre le souffle du titre, c’est un vent de liberté qui balaye tout dans ce film de Louis Malle, son 8e long métrage de fiction sorti en 1971. Liberté vis-à-vis de la religion, de la morale, de l’ordre, des conventions sociales…

Laurent (Benoît Ferreux, dont le frère Fabien joue l’un de ses deux frères) est le petit dernier d’une fratrie de trois garçons, ses frères ne ratent pas une occasion de lui rappeler. Son père (Daniel Gélin), accaparé par des problématiques d’adulte, se désintéresse totalement de lui. Sa mère (Lea Massari) essaye de combler ce manque affectif en le couvant du mieux qu’elle peut, tout en trompant son mari. Les trois frères font les 400 coups (le spectre du film de Truffaut n’est pas loin), tandis que Laurent, en plein complexe d’Œdipe non résolu, fait une fixation sur sa mère. Pour lui, visiblement, l’interdit de l’inceste n’a pas été posé au plus jeune âge. Entraîné par ses aînés, il fait des bêtises, vole un disque, fume, écoute du jazz, lit des livres érotiques (en l’occurrence Histoire d’O, de Pauline Réage), se laisse embarquer dans un lupanar pour perdre sa virginité… La caméra le suit fidèlement. Quand par exemple, il se confesse à un prêtre aux mains baladeuses (Michael Lonsdale), tout est suggéré en finesse et sans prendre parti.

Cette absence de jugement donne au film son caractère profondément dérangeant. Dans un style naturaliste et direct, avec un montage très serré (les scènes ont à peine le temps de se terminer que la prochaine commence), Malle nous plonge dans l’intimité de cette famille dysfonctionnelle. Une position inconfortable s’approchant du voyeurisme, une sensation qui aura rarement été aussi forte dans une œuvre de fiction.

Loin de toute psychologie, Louis Malle embrasse son sujet dans toute sa complexité et sans prendre de gant, une des marques de fabrique du cinéaste disparu en 1995. Déjà, dans Les Amants (1958), il montrait un adultère vécu avec plaisir qui avait provoqué le scandale. Avec ses scènes « choquantes » et sa liberté de ton, Le Souffle au cœur a aussi créé une polémique à sa sortie – l’avance sur recette lui a d’ailleurs été refusée par le comité de censure. Son traitement libre de la sexualité n’est pas seul en cause : Malle attaque aussi de front la bourgeoisie, qu’il montre dépravée, et la religion, dans toute son hypocrisie.

Le souffle au coeur

La question de l’inceste (consommé ou pas ? fantasmé ou pas ?), qui culmine dans une scène vers la fin du film, est traitée avec beaucoup de délicatesse et sans jugement moral, c’est ce qui perturbe le plus. Il est curieux de constater que le sujet était dans l’air du temps dans ces sulfureuses années 1970. Exemples parmi d’autres, citons un film américain avec Romy Schneider intitulé L’Inceste (1970), le Chinatown de Roman Polanski (1974), ou encore La Luna (1979) de Bernardo Bertolucci avec Jill Clayburgh. Par son portrait d’un jeune homme en plein bouleversement, on pense aussi au formidable film de Jiri Menzel, Trains étroitement surveillés (1966), qui abordait lui aussi le suicide, un thème souvent traité par Malle (Le feu follet, 1963).

On comprend que Noah Baumbach et Wes Anderson soient fans du Souffle au cœur tant il recèle une vérité universelle qui sonne terriblement juste. Malle a puisé dans ses souvenirs d’enfance pour écrire son premier scénario original (qui a été publié chez Gallimard en 1971). Mais pas seulement. Le thème de l’inceste lui a été inspiré par le roman inachevé de Georges Bataille, Ma mère, dont il avait tenté sans succès d’écrire une adaptation. Malle décide de s’éloigner du traitement transgressif de l’écrivain pour ancrer l’inceste dans la banalité du quotidien. Malgré son côté sulfureux, son film est accueilli par une critique enthousiaste. Il remporte un succès public (2,6 millions d’entrées !) et se retrouve sélectionné au Festival de Cannes en 1971, où le scandale est somme toute relatif (comme le raconte cette émission d’Affaires sensibles).

Si, par son optimisme forcé, la dernière scène du Souffle au cœur sonne un peu faux, nul doute que c’est purement intentionnel. Il s’agit là d’une philosophie de vie : rire de son propre malheur. Au final, l’œuvre gagne à être (re)découverte. C’est une chronique familiale qui questionne sur un adolescent grandissant trop vite et qui aime un peu trop sa mère, réalisée par un des cinéastes les plus passionnants du cinéma français. Une œuvre dans laquelle s’exprime un esprit anticonformiste à la Paul Verhoeven. Au moment de quitter Laurent, on se dit que les choses étaient plus simples pour lui quand il était petit. Au moins, son innocence le protégeait de la vérité du monde des adultes, souvent synonyme de trahison et d’injustice. 


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