Le Miroir aux alouettes 12 © Malavida

LE MIROIR AUX ALOUETTES

1942, dans un village slovaque, Tono, menuisier sans histoire, loin des idées fascistes, accepte de son beau-frère, chef de la milice locale, la gérance d’une mercerie, appartenant à une dame Juive, Madame Lautmannová. Âgée et presque sourde, elle ignore tout des nouvelles lois raciales : elle le prend pour un assistant. Une complicité inattendue naît bientôt entre ces deux êtres que tout oppose…

Critique du film

Co-réalisé en 1965 par Jan Kadar et Elmar Klos, deux metteurs-en-scène tchécoslovaques qui ont travaillé ensemble sur plusieurs films, Le Miroir aux alouettes fait partie de ces œuvres qui arrivent à trouver un équilibre parfait entre la farce et la tragédie, à l’instar de certaines comédies italiennes ou d’autres longs-métrages du patrimoine cinématographique des pays d’Europe de l’Est. 

Tono, le personnage principal que joue Jozef Kroner avec un sens du comique, mais aussi une grande intensité dramatique, est au départ un menuisier sans grande ambition qui apparaît comme plutôt sympathique, en raison aussi d’une certaine forme d’hédonisme qui semble l’habiter. Son beau-frère, qui dirige la milice locale du village lui offre la possibilité de gérer l’aryanisation d’un commerce juif, c’est-à-dire ni plus, ni moins que la spoliation d’une petite mercerie qui appartient à une dame très âgée. Nous sommes en 1942 et les lois raciales visent à confisquer et à exploiter tous les commerces appartenant aux juifs. Tono, par faiblesse accepte. Sa femme veut de l’argent et cette opportunité semble finalement être une bonne aubaine.

Mais la dame, propriétaire de la mercerie incarnée par Ida Kaminska avec beaucoup de malice et de finesse, ne comprend apparemment pas ce qui se joue. Très âgée et atteinte de surdité, elle prend Tono pour un assistant et, ne connaissant pas l’existence des lois raciales, prend des risques peut-être inconsidérés. Tono se trouve vite décontenancé et la communauté juive, solidaire et très active, lui propose vite de l’argent régulier pour maintenir la boutique alors qu’elle s’avère déficitaire. Partagé entre les deux camps, Tono commence alors à pratiquer un double-jeu qui se traduit aussi par un grand écart moral qui pourrait bien finir par lui attirer des ennuis. 

Le Miroir aux alouettes met en scène des profiteurs et des personnes solidaires des persécutés. La débrouillardise est de mise, pour le meilleur et pour le pire. Pour aider ceux qui sont dans la ligne de mire de la milice, mais aussi pour s’enrichir, sans aucun scrupule. L’humour, très présent, se montre noir et grinçant. La musique, souvent angoissante, vient souligner une atmosphère étouffante, oppressante. La rapacité de certains, l’antisémitisme qui s’affiche clairement, la terreur que font régner les extrémistes, tout cela est montré sans détour.  

Tono passe de la tranquillité d’esprit à la veulerie la plus sordide, tant l’appât du gain se montre puissant, puis oscille entre égoïsme forcené et une forme de compassion pour la dame, réelle ou illusoire. On se demande si le personnage du menuisier cherche une certaine forme de rédemption.

Aucun temps mort et aucune maladresse ne viennent ternir cette franche réussite cinématographique qui remporta l’Oscar du meilleur film étranger en 1965. Œuvre d’une grande force, marquée par une interprétation de premier plan et une mise en scène sobre et efficace, Le Miroir aux alouettes est ressorti en salle le 5 février dans une superbe version restaurée et distribuée par Malavida Films


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