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L’ÂME SOEUR

À l’écart du reste du monde, dans une ferme suisse à flanc de montagne, une famille vit au rythme des saisons. Une tendre complicité lie les deux enfants, le garçon dit « le bouèbe », né sourd-muet, et Belli, qui réalise sa vocation contrariée d’institutrice en lui apprenant à lire et à écrire. Après une violente dispute avec le père, l’adolescent s’enfuit dans les alpages. Sa sœur le retrouve et tous deux deviennent amants…

Critique du film

Dès la scène d’ouverture, on fait immersion dans le quotidien de cette famille, grâce à une façon de filmer qui évoque en partie le documentaire. Mais la vision de deux rongeurs pris au piège et scrutés par les enfants annonce une dimension de tragédie grecque, que l’inéluctable et le fatum seront la conclusion inévitable de cette cellule familiale très particulière, refermée sur elle-même, sur le labeur indispensable pour subsister. 

Le père est dur, n’aime pas tout ce qui ressemble à un divertissement ou à la culture : tout cela est sûrement trop frivole pour lui. Seuls comptent le travail et ce que ce dernier peut rapporter. Son épouse semble plus compréhensive et ouverte, mais sa fragilité de constitution et sa soumission l’emportent sur ses bonnes intentions. Quant à leurs enfants, Belli (l’aînée) aurait aimé être institutrice, mais doit se contenter d’aider ses parents car il faut « rapporter plus que ce que l’on mange » et Le Bouèbe, le jeune garçon, qui a hérité d’un surnom plutôt que d’un prénom, né sourd et muet, semble très perturbé. Perturbé peut-être moins par son handicap que par la façon dont celui-ci est perçu par sa famille. Pas vraiment maltraité, mais pas non plus totalement accepté dans sa différence.

Le Bouèbe a parfois des accès de colère, abîme des outils ou les affaires de son père ou de sa sœur. Un jour, le jeune garçon s’échappe dans les alpages et est rejoint par sa sœur. L’inévitable se produit, dans une forme d’innocence au sens fort du terme. En dehors de toute loi morale, de tout jugement. Belli a souvent contrebalancé sa vocation contrariée d’institutrice en s’occupant de son jeune frère. Leur rapprochement et leurs gestes dénués de toute intention malveillante, transgressifs mais sans en avoir conscience, va bouleverser l’équilibre de cette famille.

Formé aux arts décoratifs, le réalisateur Fredi M. Murer réalisait en 1985 un de ces films miraculeux car d’une singularité exceptionnelle, tout en faisant preuve d’une sobriété et d’une sensibilité remarquables. L’équilibre n’est jamais aisé à trouver lorsqu’on réalise une oeuvre qui réussit à traiter avec délicatesse un sujet aussi risqué. Jamais L’Âme sœur ne fait preuve de maladresse ou de complaisance. Au contraire, la finesse, l’intelligence et la pudeur sont là à chaque instant pour orner une histoire qui se distingue par une force et une vérité psychologique de chaque instant.

On notera aussi l’utilisation de très majestueux plans séquences dans ce film hors du temps qui n’a pas eu en son temps le succès public qu’il méritait. Le grand directeur de la photographie Pio Corradi contribuait à la magnificence de cette œuvre unique, atypique, profondément touchante et déstabilisante à la fois. On est happé, hypnotisé et on perd ses repères. Formellement, il s’agit d’une très grande réussite. Le sens du cadre qui transforme des images à priori banales en natures mortes dignes des grands maîtres de la peinture, l’interprétation d’une très grande justesse, toujours naturelle, la musique qui intervient avec parcimonie mais sait se montrer oppressante, tout cela concourt à faire de ce long-métrage, auréolé du Léopard D’Or au Festival de Locarno en 1986, une œuvre majeure et puissante qui ne peut laisser insensible


21 décembre 2022De Fredi M. Murer, avec Thomas NockJohanna LierDorothea Moritz




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