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PLUIE NOIRE

Hiroshima – 6 Août 1945. La vie suit son cours, comme tous les jours. Un terrible éclair déchire le ciel. Suivi d’un souffle terrifiant. Et l’Enfer se déchaîne. Des corps mutilés et fantomatiques se déplacent parmi les amas de ruines. Au même moment, Yasuko faisait route sur son bateau, vers la maison de son oncle.  Une pluie noire s’est alors abattue sur les passagers. Ils ne savaient pas, ils ne savaient rien. Quelques années plus tard, les irradiés sont devenus des parias dans le Japon d’après-guerre.

Critique du film

Tourné en 1988 par Shohei Imamura, Pluie Noire est l’adaptation du roman éponyme de Masuji Ibuse, écrit en 1966 et qui connut un retentissement mondial. Il faut d’abord souligner la totale réussite esthétique du film. Le noir et blanc, magnifique, contribue à évoquer un croisement entre documentaire (genre que le réalisateur a pratiqué pour la télévision et qui marquait de son empreinte le début de L’Evaporation de l’homme en 1967) et le fantastique. Ce choix donne au film un aspect à la fois ancré dans le réel et, au contraire, très cauchemardesque. Comme lorsqu’on est confronté à un expérience déstabilisante, déstructurante et qu’on ne sait plus si on rêve ou pas. La vision apocalyptique de l’explosion et les scènes qui montrent les survivants qui errent, complètement hagards, s’avèrent très impressionnantes. Tout comme ces corps momifiés ou ces différents personnages qu’on voit perdre pied. La musique de Toru Takemitsu, très belle, très angoissante finit de nous tétaniser. C’est un des atouts de Pluie Noire, réussir à figurer l’indicible, sans voyeurisme, mais avec une grande puissance visuelle et émotionnelle.

Il s’agit également d’un film sur le Japon, ses mœurs et ses croyances. Sur la discrimination, plus particulièrement celle qui frappe les Hibakusha : c’est à dire les irradiés d’Hiroshima et de Nagasaki, qui renvoient à la défaite du pays et donc à la honte, au déshonneur, tout autant qu’à une peur de la maladie. Ainsi, Yasuko peine à trouver un prétendant au mariage. Très présent également, le thème des croyances, de la religion ou des superstitions. Ainsi, cette scène de la médium qu’on interroge pour savoir pourquoi Yasuko ne trouve pas de mari. Le « qu’en dira-t-on » fait peur et Imamura évoque, avec finesse, mais non sans humour, plus d’un travers de la culture japonaise traditionnelle. La peur de la différence, souvent vue comme une forme de marginalité voire de tare.  

Beaucoup de scènes poignantes ou touchantes dans ce film. Comme celle de l’homme dans la forêt de bambous, qui explique qu’il n’a pu sauver son fils et qui a fui. Ou celle où des femmes se baignent dans la rivière, attendant que le linge sèche, tandis que sur les rives on récite des sutras  en incinérant les corps des défunts. Alliance du sacré et du profane, de la mort et de l’instinct de vie.

Comme souvent chez Imamura, quelques notes d’humour viennent parsemer le film de bouffées d’oxygène, bienvenues dans un récit poignant et parfois oppressant. Le personnage de Yuichi, traumatisé par la guerre et qui perçoit chaque bruit de moteur comme une attaque ennemie, donne naissance à plusieurs scènes qui désamorcent un peu la tension dramatique.

« Une communauté de destins forgés par l’éclair qui tue » : ainsi parle Shizuma de la famille qu’il forme avec sa compagne et sa nièce. Shizuma prend soin de Yasuko, comme si elle était sa propre fille et ne sent pas digne de réciter des sutras pour rendre hommage aux victimes.  Mais il le fait, car c’est un homme d’honneur et il est bien sûr question d’un certain devoir de mémoire, d’une transmission aux futures générations. Pour qu’elles sachent et que l’horreur ne se reproduise pas.

Film complexe, à la fois réaliste et poétique, Pluie Noire refuse tout happy end, mais ne renonce pas à une certaine forme d’espoir. Un film courageux et honnête sur un sujet qui était encore relativement tabou au Japon à l’époque de sa réalisation.





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