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ICI BRAZZA

Ici Brazza, tout un programme : une zone en friche vit ses dernières heures. 53 hectares à bâtir pour un vaste projet immobilier dans l’air du temps. Chronique d’un terrain vague en transformation, le film scrute l’annonce d’un « nouvel art de vivre » dans la réalité brute du terrain.

Critique du film

« Habiter le grand paysage », telle est la promesse d’une affiche placardée sur les grilles qui ceignent un immense chantier. Il s’agit d’une zone de la ville de Bordeaux, nommée Brazza, située en bordure de la Garonne. Devenue friche industrielle, elle fait l’objet d’un ambitieux projet d’éco-quartier. Sans commentaire, le film déroule, sur plusieurs années, le fil d’une métamorphose. Antoine Boutet arpente ce petit territoire à la recherche de détails signifiants. Son regard de plasticien ouvre peu à peu une étonnante réflexion sur l’illusion et l’idéal.

La ville hirsute

Ce n’est pas tout à fait la campagne à la ville mais il y a quelque chose de l’ordre du vivace dans la friche qui s’étend sur des centaines d’hectares. Un territoire comme un refuge pour les herbes hautes, les oiseaux et les squatteurs. De jour comme de nuit, Antoine Boutet décrit ce paysage hirsute. De beaux panoramiques laissent voir et entendre la vie non-domestiquée, un plan filmé au drone permet d’en mesurer la vastitude et de deviner l’activité passée. Ici des ruines de hangars, là une voie de chemin de chemin de fer, le béton mangé par la nature, la ferraille recouverte de rouille. Et voilà que sont érigés les premiers panneaux d’affichage. Annonces des pouvoirs publics et logos de sociétés bancaires et BTP trouvent leur place dans un agencement qui relève de la complémentarité. Les bulldozers détruisent, les policiers expulsent. L’are a un prix. Habiter le grand paysage oui, mais pas n’importe comment (c’est-à-dire pas n’importe qui). Pour comprendre la population ciblée, il suffit de regarder les photos sur les palissades. De la diversité, en apparence. Les teintes de peau sont subtilement nuancées mais on y découvre prioritairement des couples trentenaires en quête d’un havre où voir grandir leur progéniture.

Ici Brazza

Le rêve pixelisé

Du rêve à la réalité, il n’y a qu’un PEL. C’est la partie la plus captivante du film, la frontière flottante entre la représentation et l’incarnation. Par des effets de zooms, de changements d’échelles, le film maintient une incertitude sur ce qu’il montre. Étape intermédiaire : les faux gens dans les vrais décors. Le réalisateur accorde une grande importance au son. Les bruits du chantier constituent une petite musique contemporaine à laquelle succèdent les nappes synthétiques composées par Ernest Saint Laurent. On aura entendu la parole exaltée de l’architecte, celle résignée des squatteurs. C’est tout un nouveau quartier qui prend naissance, participant d’un mouvement perpétuel de transformation de la ville. Tout est planifié, de jeunes arbres sont plantés, il n’y a pas l’ombre d’un oubli. Les premiers habitants arrivent, charge à eux d’être à la hauteur du bonheur vendu. Par une série d’images arrêtées le film continue d’interroger la véracité de cette population qui semble sortie d’un film de Jacques Tati ou de The Truman Show.

Il n’y a pourtant aucune ironie dans le regard du cinéaste, mais son travail sur la distance qui sépare le mirage de la vraie vie fait passer notre propre vision de la contemplation (travail sur le temps et le cadrage, un peu répétitif pour toutes les scènes du chantier proprement dit) à la méditation.

Bande-annonce

24 janvier 2024De Antoine Boutet




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