Caiti Blues 2

CAITI BLUES

Madrid, Nouveau-Mexique. Caiti Lord s’est exilée dans cette ancienne ville-fantôme, cernée par les montagnes, loin des strass de la Big City. Elle a une voix magnifique qu’elle compte bien utiliser pour faire autre chose que vendre des cherry cocktails. Tandis que la folie s’empare des États-Unis, dans l’absurdité la plus inquiétante, Caiti éprouve un sentiment d’asphyxie grandissant. Alors, Caiti chante.

CRITIQUE DU FILM 

Les films sélectionnés par l’Acid, l’association de cinéastes qui a créé la troisième sélection parallèle au festival de Cannes chaque année, sont peu à peu devenus un gage de qualité, d’autant plus quand il est question de documentaires. Si le cinéma du réel a acquis une plus grande visibilité ces dernières années, et un grand prix en festival avec le Lion d’or de Laura Poitras pour Toute la beauté et le sang versé, un gros travail de défrichage est nécessaire pour atteindre les œuvres les plus abouties. Au milieu des nombreuses sorties hebdomadaires se cachent des œuvres aussi singulières que Polaris (2023) ou Soy Libre (2022), qui renouvellent l’idée qu’on peut se faire de ces histoires existant à coté des grandes œuvres de fictions traditionnelles.

Justine Harbonnier appartient à cette génération de cinéastes qui aiment à repousser les limites formelles et visuelles de leur art pour proposer des films différents, ici un portrait nommé Caiti blues, consacré à une artiste presque inconnue, Caiti Lord. C’est à Madrid, dans le Nouveau-Mexique, que la réalisatrice française est allée reprendre contact avec Caiti, rencontrée pour un de ses premiers court-métrages du coté de la Floride il y a une décennie. À travers son personnage, c’est tout un éco-système politique et artistique que regarde le film, dans un format 4/3 désuet qui souligne la temporalité longue dans lequel navigue Caiti Blues, entre souvenir et itinéraire complexe pour réussir à vivre de son art. Chaque pan du film est connecté par une chanson, une performance scénique, ou une émission radio où Caiti exprime ses pensées, ses difficultés et ses rêves.


De courtes phrases découpent le long-métrage en moments, des mots issus des chansons composées par l’artiste sont comme des cartons illustrant la narration à la manière du cinéma muet, annonçant la scène suivante avec poésie. Caiti Lord est une américaine dans un moment charnière de son histoire, sous la présidence de Donald Trump, et si cela n’est pas le sujet du film, il demeure en filigrane à chaque instant, comme un rappel des difficultés à exister dans un pays où la réaction s’installe dans les plus hautes sphères du pouvoir, tissant sa toile conservatrice destructrice pour les personnes comme Caiti qui ne sont pas compatibles avec l’idéologie ultra libérale. Un passage du film rappelle avec justesse cet antagonisme : pendant son émission à la radio, Caiti rappelle la dette qu’elle a toujours correspondant à son prêt étudiant. A 29 ans, ce poids pèse non seulement toujours sur ses épaules, mais de plus il s’accroit à cause des taux d’intérêts.

Etudiante en art, elle est une inconnue dans cette équation de la rentabilité, travaillant dans un bar pour 4 dollars de l’heure, une somme dérisoire au vu de ce qu’elle doit rembourser aux banques. Malgré l’agressivité de ce propos, Justine Harbonnier préfère avec beaucoup de justesse montrer Caiti sur scène, que ce soit à travers d’images VHS données par la famille Lord, ou des captations de ses performances, que ce soit avec ses propres chansons, ou des reprises déguisées en drag queen où elle fait montre à la fois de ses talents d’interprète musicale, mais aussi d’une capacité à occuper la scène issue d’années à faire du théâtre à New-York, sa ville d’origine.

Au delà de ces problématiques politiques passionnantes, c’est un territoire étonnant que filme Justine Harbonnier. Madrid est telle une enclave réinventée au milieu du désert, qui n’est pas sans rappeler Nashville Blues de Peter Bogdanovich, avec River Phoenix et Samantha Mathis. La musique est dans chaque bar, avec ses groupes et ses talents, prêts à se produire chaque soir pour se faire remarquer et vivre pleinement de cette passion. C’est ce moment que capte admirablement la réalisatrice française, au plus près de Caiti Lord dont la voix hante chaque seconde du film.

Bande-annonce

17 juillet 2023De Justine Harbonnier, avec Caiti Lord.




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