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ANIMALIA

Itto, jeune marocaine d’origine modeste, s’est adaptée à l’opulence de la famille de son mari, chez qui elle vit. Alors qu’elle se réjouissait d’une journée de tranquillité sans sa belle-famille, des événements surnaturels plongent le pays dans l’état d’urgence.

Critique du film

Primée en 2020 à Sundance, où elle a remporté le Grand Prix du court-métrage pour Qu’importe si les bêtes meurent (également récompensé du César du meilleur court), Sofia Alaoui continue avec son premier long-métrage son exploration d’un cinéma sans certitude. À cheval entre la science-fiction, la spiritualité et le road-trip existentialiste, Animalia est un film singulier qui parvient à se démarquer des œuvres dont il s’inspire. Les références à la filmographie de Terrence Malick s’inscrivent parfaitement dans ce récit onirique. Plusieurs scènes rappellent Melancholia (Lars von Trier, 2011) mais s’en séparent rapidement pour donner à Animalia un ton unique.

La première scène du film, au cours de laquelle la protagoniste Itto se promène dans une maison toute en démesure, nous laisse déjà penser que le personnage n’est pas à sa place. Celle-ci s’entend avec les domestiques, mais pas avec sa belle-mère. Son rapport à l’argent est bien plus nuancé que celui de son mari et de sa belle-famille, qui mesurent le temps en dinars. Dénonciation assumée de la bourgeoisie marocaine, de ses privilèges et de sa déconnexion du monde, Animalia nous entraîne dans une toute autre dimension lorsqu’Itto se retrouve seule dans l’immense bâtisse. L’armée empêche son mari et sa famille de revenir d’une promenade autour du lac, et des événements troublants invitent Itto (et le spectateur) à tout remettre en question, y compris notre propre existence.

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Si tu tends l’oreille

Ce premier long-métrage annonce la naissance d’une réalisatrice débordante d’idées, assumant son expérimentation et la singularité de son œuvre quitte à manquer une partie du public. Immense expérience auditive, le film prend la forme d’une suggestion constante, alarmant des dangers sans jamais les expliciter. Les oiseaux et les chiens le sentent et se rassemblent, profitant de moments d’unité que l’espèce humaine laisse de côté depuis bien trop longtemps. En exagérant les gros plans sur certains éléments insignifiants (une tâche sur la nappe, un plateau renversé) qui ont le don d’agacer la belle-mère de la protagoniste, la cinéaste dénonce la futilité de ses agacements. Elle utilise également le mari d’Itto, Amine, fuyard incapable de tenir une conversation sérieuse qui ne traiterait pas d’argent : il est la personnification même de la société capitaliste ouvertement critiquée dans ce long-métrage percutant. Il en oublie l’essence de son existence, se concentrant sur le matériel et le superficiel, s’éloignant irrémédiablement de sa femme. Amine incarne également un machisme constamment suggéré. Jamais la protagoniste ne sera victime de misogynie, et pourtant celle-ci est palpable tout au long de l’heure et demie. Reste les animaux, chez qui Itto se réfugie volontiers, terrifiée d’être « laissée seule dans ce monde d’humains ».

Sofia Alaoui invite à la contemplation. Non seulement des paysages hypnotiques du Maroc capturés par le directeur de la photographie Noé Bach, mais aussi des merveilles permises par notre espèce. Itto, enceinte de plusieurs mois, est davantage connectée à l’éther, attiré par la présence d’un nouvel être encore pur. En jouant avec des ralentis et des séquences opaques, la cinéaste défie l’espace et le temps. Elle flirte avec la science-fiction sans jamais totalement l’épouser, et fait de même avec le thriller. Animalia atteint parfois des sommets de tension, et lorsque tout s’apprête à exploser, celle-ci redescend pour laisser place à l’incompréhension. Acceptons l’incertitude et le manque de solutions. Sofia Alaoui propose un premier long-métrage contemplatif, jouant sur l’immensité des paysages de sa terre natale pour mieux nous rappeler l’insignifiance de notre existence face au cosmos qui nous entoure. La réalisatrice, comme la vie, nous condamne à l’incompréhension. Qu’importe : « qui se connaît soi-même connaît déjà la vérité de tout », nous assure Itto.

Bande-annonce

9 août 2023 – De Sofia Alaoui, avec Oumaïma BaridMehdi DehbiFouad Oughaou




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