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MELANCHOLIA

À l’occasion de leur mariage, Justine et Michael donnent une somptueuse réception dans la maison de la soeur de Justine et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre…

Critique du film

Drôle de coïncidence en ce printemps 2011. Robert De Niro, alors président du jury, couronne The Tree of Life, poème lumineux sur la création de la vie, filmé avec grâce par Terrence Malick. Lars Von Trier, qui n’avait pas attendu la 64ème édition du Festival de Cannes pour susciter l’indignation – trois ans plus tôt avec Antichrist – braque les caméras du monde entier sur lui lors de la conférence de presse de Melancholia, et devient persona non grata du plus grand festival de cinéma, éclipsant au passage le prix d’interprétation féminine de Kirsten Dunst. 

Coïncidence, car Melancholia et The Tree of Life sont étrangement animés par ce même désir de raconter l’Humanité. La lumière chez Malick est divine et insuffle le souffle premier du monde. Chez Lars Von Trier, elle scintille dans la collision des astres et dans l’extinction de la vie. Une circularité étonnante entre deux œuvres que pourtant tout oppose. 

Tout est chaos

Deuxième morceau de la Depression Trilogy, Melancholia est sans doute l’œuvre la plus désespérée de son auteur. Déjà dans Antichrist, la prophétie d’un renard qui dévorait ses propres entrailles – Le Chaos règne – présageait l’auto-destruction de soi. Lars Von Trier la déploie jusqu’à l’annihilation totale de l’humanité, sous la forme d’une immense planète. Le néant, la détresse et les larmes habitent les derniers instants du monde voué à la poussière, écrasé par l’immensité d’une tristesse insondable. 

Découpé comme une tragédie, Melancholia annonce dès son prologue la catastrophe inéluctable. Sa séquence inaugurale d’une beauté foudroyante dérègle le cosmos et l’ordre naturel du monde. Au centre, Justine absorbe la vitalité de la Nature et la contamine par son mal-être. Figure démiurgique, elle engloutit le monde qui l’entoure et les êtres meurent autour d’elle. 

Lars Von Trier convoque un héritage romantique dans la lignée de Nerval et du romantisme allemand. Les manifestations symboliques de Melancholia s’inscrivent dans une continuité artistique construite avec les siècles. La musique wagnérienne, issue de Tristan und Isolde -autre mythe tragique- apparaît comme un leitmotiv entêtant, et pare le récit d’un gigantisme superbe.  De Shakespear à Lars Von Trier, il n’y a qu’un pas : Kirsten Dunst emportée par les flots réinterprète Ophelia, figure désespérée qui se noie par amour. Bruegel, Sade ou Caravage; les références nombreuses hantent le film, comme une hérédité désespérée de l’humanité. 

Fin d’un monde 

Prétentieux, pompeux, peu importe. Lars Von Trier dépasse le grotesque de son cinéma pour toucher au sublime, au sens littéral. Melancholia parvient à créer des images si grandes, si fortes, qu’elles en deviennent profondément angoissantes. Une puissance quasi-cosmique entoure le film, jusque dans ses instants plus réalistes. La nervosité de la caméra, qui colle au plus près des visages et de l’intimité de ses personnages, est contaminée par un sentiment d’irréel, précipité à la fois par l’imminence de la catastrophe et par le surnaturel qui envahit le récit; comme une force magnétique anxiogène qui pèse sur le microcosme de Justine, déréglant les saisons et érigeant une barrière invisible autour du manoir. 

Si Lars Von Trier est souvent accusé de misogynie, les femmes ont le premier rôle dans sa filmographie. Dans Melancholia, Justine est un personnage presque omniscient, capable de prédire le cataclysme et qui a la force d’y faire face. Elle refuse le mariage, mais aussi tout le poids d’un idéal capitaliste (elle démissionne) dans lequel elle ne se sent pas à sa place. Claire, elle, pressent la catastrophe face à son mari scientifique, persuadé de la justesse de ses calculs. Les hommes eux, sont des lâches ou des archétypes masculins sans profondeur. Les identités de genre symbolisent une dichotomie entre un monde sensoriel et de l’ordre de l’émotion (féminin) et celui rationnel (masculin), particulièrement mis à mal dans le film. 

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Rien n’est manichéen puisque c’est l’humanité toute entière qui est mauvaise. Le désespoir qui traverse Melancholia est à l’image de cet astre sur-puissant. La dépression, vécue par Lars Von Trier lui-même, dévore le film, et avec lui ses spectateur.ice.s. La dépression mentale se manifeste sous différentes formes, et lie l’intime de la crise d’angoisse à la destruction de la planète. Si la fin du monde a bien lieu, elle paraît tout aussi métaphorique : c’est la fin d’un monde, celui de Justine, écrasée par le poids de la souffrance, qui entraîne avec elle son entourage le plus proche. 

Les derniers survivants sont recroquevillés sous un tipi de branches, mais la collision est inévitable. La planète Melancholia s’écrase sur Terre, balayant toute forme de vie, sur le climax de Wagner. L’écran noir laisse place à un silence étouffant. Melancholia est un film malade, grandiose et monstrueux qui transforme son apocalypse en une beauté désespérée. N’y a-t-il pas plus terrifiant qu’un film qui réveille une tristesse si profondément enfouie en soi ?


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