2022_Au café avec Serge

SERGE KORBER, EN AVANT-GARDE !

Sur une carte immense, un chat humoristique de l’illustrateur Ronald Searle tient un bouquet de fleurs aussi grand que lui sur un pas de porte, et au-dessous, un numéro de téléphone avec cette note : “appelez-moi”. Le cinéaste a répondu à ma lettre, et accepte de me rencontrer, pour parler d’écriture et de cinéma, à la terrasse d’un café. Nos échanges dureront près de dix ans. J’ai dix-sept ans alors, toute personne au-delà de la trentaine est déjà vieille à mes yeux. Hélas, j’ai tout faux. Car Serge Korber, quoique né en 1936, n’a pas dépassé la vingtaine. 

SERGE KORBER, EN AVANT-GARDE !

On ne dresse pas de statue à ceux qui nous ont fait rire, seulement à ceux qui nous ont fait pleurer”. Raimu s’exprimait en ces mots à la mort de Sacha Guitry. Que serions-nous, sans humour ? La comédie en France s’apparente hélas aujourd’hui de plus en plus à une basse satire de notre société dans un langage de sous-entendus souvent grossiers. Triste situation. Or, la dénonciation ne peut être l’unique moteur de la comédie. L’histoire, ainsi que la célébrait Henri-Georges Clouzot, se veut au centre du film, et ne fonctionne que si elle a été écrite en profondeur. La comédie au cinéma est un art complexe, car nous savons comme il est difficile de faire rire. Dans la plupart des films, ce poids repose sur la prestation des comédiens, leur rôle n’étant pourtant pas de sauver un mauvais scénario. La comédie idéale est faite de finesse, de sensibilité, et de poésie, et nous venons de perdre un poète. 

Le 23 janvier dernier s’est éteint Serge Korber, réalisateur français d’une guirlande de films représentatifs de la pop culture des années 70. Originaire de Paris, quoique ayant laissé une part de son cœur dans le Midi, il est ami avec François Truffaut à l’heure où ni l’un, ni l’autre n’a encore tourné de film. Serge Korber entame sa carrière dans le spectacle en travaillant au Cheval d’Or, cabaret situé dans le quartier de la “Mouffe” et fondé en 1955 par Léon Tcherniak et Jean-Pierre Suc. Là, tous les artistes, musiciens, humoristes de l’époque se pressent au portillon pour marquer les lieux de leur passage : Boby Lapointe, Anne Sylvestre, Pierre Richard en duo avec Victor Lanoux. Ce n’est que plus tard, après quelques apparitions en tant qu’acteur, notamment dans Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, que Serge Korber, évoluant intuitivement dans cet espace de rencontres et de hasard, découvre ce dans quoi il choisira de se spécialiser : la réalisation.

Les feux de la Chandeleur (1972) où jouent Annie Girardot, Jean Rochefort et Bernard Fresson, est l’un de ses films les plus célèbres, tout comme Un idiot à Paris (1967), interprété par le nonchalant Jean Lefèvre, et dialogué par Michel Audiard. Mais les plus beaux portent d’autres titres, et n’ont pas nécessairement gagné de prix, si ce n’est notre coeur. 

La petite vertu (1968) raconte une histoire d’amour contrariée, qui jamais ne plonge dans le misérabilisme en dépit des thèmes qu’il aborde. Par la douceur de ses dialogues, une fois encore signés Audiard, et par la justesse de son duo de comédiens, Dany Carel et Jacques Perrin, le film touche au sublime. Dans un autre registre, L’homme orchestre (1970), électrifié par la présence de Louis de Funès en directeur imbuvable d’une compagnie de danse, entraîne le spectateur dans une frénésie musicale, drôle et enjouée, aux couleurs diaprées de l’époque. L’avez-vous en tête, le piti-piti-pa de sa chorégraphie ? Célébrant à coeur joie la musique, Serge Korber fait plusieurs fois appel à son ami, le compositeur Michel Legrand (Les feux de la Chandeleur, Je vous ferai aimer la vie – 1979). Par son goût prononcé pour le documentaire, il honore les artistes qui l’inspirent et qu’il côtoie. En 2012, il présente un film dédié à Jean-Louis Trintignant, intitulé Pourquoi que je vis. Le début de leur collaboration remonte à 1966 et au premier long-métrage de Korber, célébrant la poésie des premières amours, Le dix-septième ciel (avec Marie Dubois). L’histoire que raconte ce film est simple, il s’agit du fameux “boy meets girl”. Cependant, la façon dont est elle racontée vous enveloppe d’un drap de soie, vous berçant d’humour, toujours, et s’apparentant à un conte de fées moderne, sans fées, et sans morale.

Serge Korber est un cinéaste qui prend soin de l’Idée. Une fois qu’elle a pointé le bout de son nez, pure, sans artifices, parfois invraisemblable, ou peu crédible, il l’attrape, et en fait un film. Ainsi pour lui, tout est envisageable, et malheur à celui qui essaie de qualifier l’idée d’irréalisable, même d’un point de vue matériel ! Sur un arbre perché (1971) en est la parfaite illustration. Louis de Funès est de nouveau appelé, accompagné de son fils Olivier, et de Géraldine Chaplin, et accepte de prendre le rôle d’un riche promoteur qui, ayant mal abordé un virage en voiture, se retrouve coincé dans un arbre au sommet d’une falaise, avec les auto-stoppeurs qu’il venait d’accepter à bord. Le célèbre décorateur italien Rino Mondellini participe alors à l’échafaudage vertigineux de l’unique décor du film : une décapotable retenue au-dessus du vide par les branches d’un pin parasol.

Si le cinéma de Serge Korber nous touche, c’est parce qu’ayant surfé avec brio sur la nouvelle vague, il aura cependant choisi de faire des films toujours un peu à part, des films qui ne satisfont pas la masse, mais l’élite de celles et ceux qui souhaitent rêver un peu. L’univers entier de ce réalisateur de vœux faits aux étoiles, ce cinéaste des possibles, ressemble étrangement à celui de l’enfance, et de la légèreté. Qui dit légèreté ne dit pas naïveté, il s’agit plutôt de prendre un adulte par la main, et lui dire : regarde, tu vois que tu aimes encore écouter des histoires.


Illustration : Eleonore Oldwood ©



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