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MAI ZETTERLING, LE CINÉMA SUÉDOIS AU FÉMININ

Née en 1925, Mai Zetterling a débuté très tôt en tant que comédienne de théâtre, puis de cinéma en Suède et en Grande-Bretagne. Elle eut l’occasion de tourner dans des films très divers, collaborant aussi bien avec Alf Sjöberg, Ingmar Bergman, Terence Fisher que Guy Hamilton ou Val Guest, entre autres. Il lui arriva durant cette période de retravailler également pour le théâtre, interprétant notamment des œuvres d’Anton Tchékhov ou d’Henrik Ibsen. Mais l’actrice éprouvait la nécessité d’exprimer ce qu’elle ressentait en passant elle-même à la réalisation. Ce qu’elle commença avec des reportages pour la télévision britannique, puis d’un court-métrage : Le Jeu de la guerre, tourné en 1962. 

Les amoureux

Quelques années plus tard, Mai Zetterling s’attèle à son premier long-métrage de fiction, Les Amoureux, qui raconte l’histoire de trois femmes sur le point d’accoucher dans un hôpital de Stockholm en 1914. Leurs différents parcours nous seront dévoilés. Dès le début de ce film, le ton est donné, les femmes semblant terrifiées et le médecin compare ce lieu à une prison. Dans ce film qui fustige l’hypocrisie, la bigoterie et toutes les formes de violence, qu’elles soient sexistes ou de classe, on trouve les principaux thèmes qui parsèmeront les futures œuvres de la réalisatrice suédoise : la brutalité des hommes, la folie vue non pas comme une pathologie clinique, mais plutôt comme l’expression de l’aspiration à connaître la vérité et l’amour sans calcul et sans fausseté, l’immobilisme des mentalités. Tout cela est développé et exprimé avec une grande sensibilité, un recours à l’onirisme à la limite du fantastique, une mise en scène soignée et une réussite plastique certaine. On trouve aussi dans ce film et les trois autres qui composent cette sélection de longs-métrages – qui sortent en salles pour la première fois en France – une certaine dérision, un humour qui apporte un contrepoint à une vision sombre du monde, de la vie et de l’humanité. 

jeux de nuit

Réalisé en 1966, Jeux de nuit, qui est l’adaptation d’un roman de Mai Zetterling, voit un jeune homme tout juste fiancé confronté aux souvenirs envahissants de sa mère, personnalité sulfureuse, provocante et totalement fantasque. Le garçon qu’était alors Jan, le protagoniste masculin principal de cette histoire, semblait alors totalement fasciné par cette mère qui pouvait l’aimer et le repousser à la fois. Film étonnant, même stupéfiant, Jeux de nuit fait preuve d’une liberté de ton et d’une audace incroyables. Flirtant avec le cinéma fantastique, mêlant passé et présent, présentant des scènes visuellement incroyables – on pense aux délires de Fellini ou de Ken Russell – Jeux de nuit offre une vision sans concessions des rapports familiaux, notamment la relation mère fils, avec parfois une crudité et une cruauté qui ne cèdent aucune place à la complaisance mais au contraire laissent éclater une honnêteté radicale et salvatrice. 

Les filles

Dans Les Filles, tourné en 1968, trois comédiennes partent en tournée pour présenter Lysistrata d’Aristophane. Cette pièce grecque de l’antiquité raconte la révolte de femmes, lassées de voir leurs hommes partir à la guerre et qui décident de faire la grève du devoir conjugal pour faire fléchir leurs compagnons et les ramener à moins de violence. Les trois artistes, au cours des représentations, vont vite découvrir que les mœurs et les mentalités n’ont pas forcément beaucoup évolué au cours des siècles et que la Suède de 1968, malgré sa réputation de pays progressiste, pouvait encore offrir des occasions de sévères désillusions dans ce domaine. Beaucoup d’humour traverse ce long-métrage à la narration originale et qui laisse une grande place à la fantaisie et à l’imagination.

amorosa

Ces trois oeuvres réalisées dans les années 1960 sont complétées dans cette rétrospective par Amorosa, filmé en 1986 en couleurs – les trois précédents sont dans un noir et blanc magnifié par le travail des directeurs de la photographie Sven Nykvist pour Les Amoureux et par Rune Ericson pour Jeux de nuit et Les Filles – et dernier film de cinéma tourné par Mai Zetterling. Amorosa nous fait découvrir l’histoire d’Agnes von Krusenstjerna, grande écrivaine suédoise – Les Amoureux était une adaptation d’un de ses romans – qui a beaucoup compté pour Mai Zetterling. Femme libre, Agnes von Krusenstjerna cherchait à travers la littérature une expression ultime de la vérité et de l’amour. Confrontée à une époque et à une société qui ne voulaient pas accepter ou entendre de voix dissonantes, elle fut considérée comme mentalement malade. Amorosa débute par son arrivée à Venise, en plein carnaval pour être admise dans un hôpital psychiatrique. L’atmosphère étrange et vénéneuse de la ville est parfaitement rendue dès l’ouverture de ce film passionnant et à l’esthétique parfaitement rendue par le travail des chefs opérateurs Rune Ericson et Mischa Gavrjusjov. Toute la violence d’une société et d’une classe corsetées jusqu’à l’excès éclate dans Amorosa


Portés par ses interprètes au jeu intense – Harriet Anderson, Gunnel Lindblom, Ingrid Thulin, Bibi Andersson, Stina Ekblad, mais aussi Erland Josephson ou Gunnar Björnstrand – ces quatre films offrent une très belle découverte, à travers des histoires fortes, thématiquement et formellement, des histoires parfois perturbantes qui nous parlent de féminisme mais aussi de notre société, des grands sujets que sont la vie et le sens qu’on veut bien lui donner, de l’amour et de la sexualité, du regard des autres et de l’émancipation au sens large. Ces quatre films, superbement restaurés en numérique par le Svenska Filminstitutet, sont distribués par Carlotta Films et visibles en salle dès le 9 août.

Bande-annonce

9 août 2023De Mai Zetterling




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