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GRAN TURISMO

Gran Turismo retrace l’incroyable histoire vraie de Jann Mardenborough, un « hardcore gamer » issu de la classe ouvrière. Avec un ex-pilote de course raté et un cadre idéaliste de l’industrie automobile, ils décident de s’attaquer au sport le plus élitiste au monde.

Critique du film

Dans les limbes hollywoodiens se cachent parfois des belles surprises. Qui aurait pu croire un seul instant que le retour de Neill Blomkamp aux commandes d’une adaptation d’un jeu vidéo monocorde pourrait donner lieu à un très bon divertissement estival ? La magie met du temps à opérer, notamment parce que le film avance masqué : durant une bonne quarantaine de minutes, Gran Turismo s’échine à caractériser son personnage principal, à installer les parallèles entre l’histoire vraie du joueur devenu pilote et les articulations narratives du projet. D’abord avare en moments de course et en surprises formelles (les moments de pur jeu vidéo, assez fades, ne durent que quelques secondes), l’ensemble gagne en ampleur au fil des minutes, faisant du cheminement sportif du protagoniste une gradation émotionnelle très aboutie.

À ce titre, Gran Turismo – Le Film est bien une adaptation fidèle de Gran Turismo, le jeu. La mise en scène et le montage, bâtis sur la dilatation progressive des séquences, retranscrivent avec clarté l’impact de la simulation sur les aspirants coureurs automobiles. Dès lors, le phénomène d’hybridation homme-machine que l’on pensait au cœur du projet de Blomkamp s’installe très doucement, de façon à faire comprendre au fil des minutes l’assimilation de Jann Mardenborough avec son bolide lancé à toute vitesse sur les pistes.

Le climax situé durant les 24 heures du Mans est d’ailleurs l’excellente démonstration de toutes les préfigurations virtuelles, ressassant au compte-gouttes tous les traumatismes et les efforts techniques appris au fil des courses pour désigner la puissance qui s’échappe du héros au volant de sa Nissan. L’appui de clins d’œil à la réalisation des courses sur console et la multiplication des points de vue donnent à reconsidérer les zones célèbres de circuits et leur impact sur les carrosseries en action.

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THE REAL DRIVING

La surprise majeure qui différencierait ce film d’autres productions comme Jours de Tonnerre (1990) est qu’il ne propose aucun antagonisme humain véritable, au-delà de quelques effets par endroits pour dramatiser quelques secondes de course. En réalité, le réalisateur sud-africain conscientise l’idée que le premier ennemi d’un pilote n’est autre que lui-même et sa compréhension de ce qui l’entoure. Manette en main, le célèbre jeu de Playstation faisait déjà ressentir cette situation avec ses effets de vibration et de gestion du stick analogique de déplacement qui signalaient les dangers en approche. Si les conducteurs n’avaient aucun visage dans le jeu originel (ils étaient invisibles car tous les véhicules possédaient des vitres teintées), ils n’ont que peu de personnalité ici, laissant le champ libre à la concentration d’un homme seul dans sa voiture comme seul devant son écran.

Gran Turismo est également un film explicite sur la question du « try-hard », l’effet de recommencer encore et encore dans l’espoir d’enfin obtenir le résultat espéré. Il gesticule durant plus de deux heures pour tenter d’hybrider les mécanismes parfois addictifs et abrutissants du jeu vidéo à celle de l’effet de répétition du montage au cinéma. L’exemple plastique le plus étonnant reste l’une des premières séquences de course en entraînement où, dans un virage, la caméra se place derrière une voiture et présente toutes les Nissan, à la carrosserie identique, tournant de la même manière. Cette idée rejoint les formes spectrales classiques des modes de contre-la-montre, où les mêmes châssis se croisent et peuvent se confondre. Le mouvement parait convenu, mais c’est à ce moment-là qu’il rafle la mise et emporte tout sur son passage : la structure de niveaux en niveaux, la transposition du passage de permis à l’écran pour pouvoir accéder aux courses, la rencontre métatextuelle avec le créateur du jeu et l’impulsion des élans dramatiques en lieu et place des sempiternels temps de chargement du disque s’accordent excellemment au champ cinématographique, et permettent à Blomkamp d’expérimenter quelques plans vertigineux.

Certes, il ne faut pas être aveugle des nombreux défauts relevables. Si David Harbour excelle dans son rôle de mentor du pilote néophyte, les personnages secondaires auraient gagné à être plus consistants pour dépasser quelques ellipses narratives brouillonnes de la première heure. Certains checkpoints promotionnels assénés par Sony se sentent très fortement, et s’ils semblent intéressants indépendamment (le générique de fin très particulier en est un parfait exemple), ils auraient pu être mieux intégrés au film dans cette logique de conversion réel/virtuel viscérale. Néanmoins, Gran Turismo réussit habilement le pari d’hybridation entre les deux mediums, par la science de montage de son réalisateur et par le squelette narratif principal très simple, au carrefour du cinéma et du jeu vidéo, qui ne souffre pas du syndrome de l’envie de jouer au cinéma. Souhaitons à Neill Blomkamp un succès d’estime pour un retour dans le monde du cinéma à gros budget.

Bande-annonce

9 août 2023 – De Neill Blonkamp, avec David Harbour, Orlando Bloom et Archie Madekwe.




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