UNE PLACE AU SOLEIL
Un jeune homme pauvre et sans éducation se retrouve engagé par son oncle, riche industriel à la tête d’une marque florissante de maillots de bain. Enivré par sa fragile élévation sociale, il tombe rapidement sous le charme d’une étoile de la haute société.
Critique du film
Ombragé par la sortie la même année d’Un tramway nommé désir d’Elia Kazan, Une place au soleil n’a pas la même fougue ou la même modernité, mais l’histoire qu’il raconte, adaptée du roman social de Theodore Dreiser, Une tragédie américaine (1925), suffit à susciter l’intérêt du spectateur d’aujourd’hui.
Principes de visualisation, secrets de la réussite, gourous de volonté, puissance de la persévérance, lectures prétendument infaillibles pour atteindre le succès, l’argent, Napoleon Hill et son fameux “Think and grow rich” de 1937, sont autant d’appâts qui ne cessent de faire de l’oeil à celui qui s’obstine à vouloir changer de classe sociale. C’est un fait. Et c’est un sujet encore brûlant d’actualité ; le sera-t-il éternellement ? Mythe d’Icare façon après-guerre, Une place au soleil nous parle à la fois d’un homme, et de l’Amérique entière. C’est bien peu de choses, un homme, face à un continent, mais c’est ce sur quoi le spectateur portera toujours son choix. Ce qui nous ressemble, et ce à quoi on peut s’identifier, est aussi ce qui nous émeut.
C’est avec vigueur et force que nous entrons dans la vie de George Eastman (Montgomery Clift), et accablés de colère et de ressentiment que nous en sortirons. George fait partie de ceux à qui l’on a vendu le culte du self made man alors à peine sorti du four de l’expansion économique, encore chaud et tendre. Né du mauvais côté de la ville, le neveu du riche industriel découvre un univers de fourmilière plaquée or, où chacun reste néanmoins à sa place. Sous la surface des salons où les réceptions mondaines s’enchaînent, l’usine bat son plein et les rencontres se font au sous-sol de la haute bourgeoisie. Du point de vue de la modeste ouvrière, interprétée avec beaucoup de passion par Shelley Winters, qui travaille aux côtés du neveu chanceux, George est indubitablement favorisé, or lui se sent mis à l’écart par les autres Eastman du fait qu’il ne fasse pas réellement partie du même monde. La naissance de ce paradoxe maintient le héros dans une mare de doutes intempestifs et douloureux. A l’image, le cadrage met tout en œuvre pour appuyer cet enfermement, cette prison quatre étoiles.
Dans son livre Le bug humain (2019), l’écrivain et journaliste Sébastien Bohler fait référence aux objectifs fondamentaux d’une partie du cerveau appelée le striatum, qui sont : se nourrir, la reproduction, la quête d’un statut social élevé, la recherche d’informations et la minimisation des efforts. Les récompenses comportementales liées à la réalisation de ces besoins entraînent une sécrétion de dopamine chez l’être humain.
Comme un amour de classe moyenne ne suffit plus à son ambition dévorante, George Eastman se rapproche rapidement d’Angela Vickers. Premier grand rôle flamboyant d’Elizabeth Taylor, alors âgée de dix-sept ans sans que cela se remarque, tant ses perles et ses gants de soie blanche l’arrachent à son jeune âge. L’amour d’Angela, comme une prolongation de l’été indien, un cocktail de charme et de luxe, une vie d’aventure, agit comme un élixir complexe associé à la fougue des premiers émois. Cette relation entre les deux personnages apporte de l’humanité à l’histoire, en comparaison avec le roman original dont le propos se resserrait davantage autour de l’aspect économique, mais elle introduit aussi une certaine langueur, tantôt grinçante de mélodrame, tantôt sublime grâce au duo d’acteurs.
Dans sa subtile évocation de l’avortement en plein maccarthysme, critiquée à l’époque pour sa hardiesse, Une place au soleil est un film de son temps, dénonçant une Amérique puritaine amenant des tendances manichéennes. Ainsi, la forme du drame que prend le film peut se résumer en ces mots : tuer, ou laisser mourir. Car les personnages ici sont tout, sauf manichéens, et c’est peut-être ce qui apporte le plus d’intérêt à une histoire comme il en existe des centaines.
Sans mépris vis-à-vis de leurs personnages respectifs, on peut dire que Taylor et Clift ont fini par l’avoir, leur place au soleil, parmi les astres du Hollywood Walk of Fame, le sentier des étoiles d’or.