SERRE MOI FORT
Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va.
Critique du film
En portant à l’écran la pièce de Claudine Galéa Je reviens de loin, Mathieu Amalric signe avec Serre moi fort un mélodrame mélodieux, un film bagage dans lequel rouler sa mélancolie. Vicky Krieps, au bord du gouffre, porte le film jusqu’au vertige de l’abandon.
On ne prête qu’aux riches. Le cinéma de Mathieu Amalric ne cesse de mettre en scène des vies parallèles percutées par le destin. Le train, omniprésent dans ses films, en est le meilleur symbole. Si le cinéaste transforme les escarbilles en étincelles, il continue d’interroger le mystère de trajectoires lancées sur des rails qu’aucun horizon ne saurait rapprocher tout en constatant, émerveillé, les rencontres qu’il provoque, sans crier gare.
Réalité virtuelle
Le Stade de Wimbledon s’ouvrait déjà par une séquence ferroviaire. Deux lignes de fuite, celle de la vitre du wagon et celle d’un fil électrique, flirtaient dans le ciel, sans jamais parvenir à effacer le bleu qui les séparaient. Le film mettait en scène une jeune femme à la recherche d’un écrivain disparu sans avoir publié. Deux inclinations dialoguent constamment chez Mathieu Amalric, le goût de la tangente et le fol espoir qu’un croisement, un virage ou une station service, délivre soudainement une clé et déverrouille un espace de désir, un semblant de vérité. Amalric écrit en enquêteur et filme en orpailleur, subtile alchimie qui rend son cinéma si singulier, terriblement touchant.
Serre moi fort commence comme un film de rupture, la chronique d’un essoufflement. Une femme quitte mari et enfants, prend la route et ses distances. Elle semble donner corps à un projet longtemps ajourné, un acte de courage autant qu’un aveu d’impuissance. Alors que ce récit déroule son banal paradoxe entre liberté et culpabilité, un autre film pénètre peu à peu l’écran. Un doute s’installe quant à la réalité de cette rupture. Le film opère tout doucement, sans heurt, un renversement de point de vue. Clarisse s’empare des commandes, nous basculons dans sa psyché. Il faudra, plus tard, que des images de jeu vidéo envahissent l’écran pour qu’on prenne conscience que c’est aussi un grand film de réalité virtuelle qui se déploie devant nos yeux.
Un film lumineux
Grâce à un montage brillant, où les charnières spatio-temporelles cousent ensemble les pièces dépareillées d’un grand linceul, le film réussit à restituer le désordre mental de Clarisse tout en faisant mijoter une émotion limpide. Au sommet de cet agencement, une séquence magique où Marc, dans la cuisine avec les enfants, est rejoint par Clarisse dans une complicité chimérique.
En se frottant au mélo, Amalric accepte pour la première fois d’émouvoir pleinement. Serre moi fort n’en demeure pas moins un film lumineux, dévoilant, au creux de l’absence, des trésors de douceur, des bouffées de tendresse.
Vicky Krieps est Clarisse. La comédienne impressionne dans ce rôle, oscillant entre la colère et le désarroi. Regard perdu dans une obsession, elle lutte et dialogue avec l’absence, fait corps avec cette vieille bagnole dont le charme vintage semble l’effacer. Amalric a écrit ce rôle pour elle, il évoque une forme de gémellité dans le travail qui a rendu le tournage facile. Il la filme divinement, beauté inondée de fatigue, Ava Gardner et Romy Schneider réunies. Dans un rôle plus ingrat, Arieh Worthalter apporte à son personnage une fragilité touchante.
La musique joue un rôle prépondérant, sorte de vecteur transitionnel facilitant la circulation des sentiments. Elle est aussi au cœur de la relation mère/fille, reprise en écho par le documentaire que consacre sa fille à Martha Argerich devant lequel Clarisse éprouve ce si bel élan, scène tendrement impudique et sensuellement douloureuse.
Cinéaste du manque, (l’écrivain fantôme du Stade de Wimbledon), du trop plein (l’appartement saturé de livres de Mange ta soupe), et de l’impossible équilibre (l’ascenseur émotionnel de Tournée, la relation entre Barbara et son public), Mathieu Amalric ajoute avec Serre moi fort une nouvelle pièce, éclatante de sincérité, à une filmographie remarquable. Son cinéma n’en finit pas de remuer en nous des choses enfouies, intimes et essentielles, de celles qui nourrissent le grand métier de vivre. De cette richesse nous lui sommes redevables.
Bande-annonce
8 septembre 2021 – De Mathieu Amalric, avec Vicky Krieps, Arieh Worthalter