featured_Cmon-Cmon

NOS ÂMES D’ENFANTS

Demander aux adolescents de quelle façon ils imaginent l’avenir, tel est le quotidien de Johnny qui travaille pour la radio. Loup solitaire, il accepte pourtant de garder le fils de sa sœur lorsqu’elle le lui demande. C’est à priori l’affaire de quelques heures, quelques heures qui vont s’étendre et bouleverser l’existence entière du journaliste.

Critique du film

En 2016, Mike Mills dressait dans 20th Century Women un tableau peu ordinaire de l’éducation, invitant une mère à s’entourer de deux femmes d’âges et d’horizons différents, Greta Gerwig en artiste électrifiante et Elle Fanning en adolescente aventureuse, pour permettre à son jeune fils d’élargir ses perceptions et sa manière de voir le monde. Il s’agissait déjà de regarder quelqu’un grandir, mais de façon originale, enjouée, optimiste et décalée, loin de la critique directe de la naissance d’un monde matérialiste venu écraser le joyeux bal des contres-cultures, même si le film situé à l’aube des années 80 y faisait clairement référence.

LA PANTOMIME DU RÉEL

Mais si la figure de la mère irradie dans 20th Century Women, cinq ans plus tôt c’était au père que Mike Mills s’intéressait dans Beginners. Aujourd’hui l’enfant est à l’honneur, comme pour clore une trilogie inspirée à bien des égards par sa propre famille. D’enfant naïf et insouciant il n’est cependant pas question dans Nos âmes d’enfants. C’est l’enfant qui se questionne, l’enfant manipulateur qui joue avec la considération des adultes, l’enfant, enfin, comme pilier de la civilisation à venir et non comme héritier de l’histoire de ses parents. 

Son titre laissait sous-entendre une ode à la jeunesse, et à sa légèreté. Il n’en est rien. Nos âmes d’enfants lève un pan de rideau sur la part de noirceur liée à l’incompréhension vis-à-vis du monde, ou de certains aspects de la famille, qui habite les jeunes gens, et ce dès l’enfance de manière inconsciente. Il est tourné vers le futur, tout en arborant une esthétique classique en noir et blanc. De cette façon, le film est uniformisé tout en balayant quatre villes des Etats-Unis, aux atmosphères très différentes les unes des autres. On ne peut s’empêcher d’émettre une légère réserve sur ce choix sachant que Robbie Ryan, chef opérateur, avait donné un charme fou à Fish tank et American Honey d’Andrea Arnold, films à l’essence réaliste que la couleur rendait d’autant plus immersifs. Nos âmes d’enfants pourrait toutefois justifier son esthétique monochrome par son côté documentaire, amené par la profession journalistique d’un de ses personnages.

La façon de filmer en plans rapprochés instaure rapidement une proximité complice entre le journaliste (Joaquin Phœnix) et le petit garçon (Woody Norman), ce n’est plus Zazie dans le métro mais Jesse dans l’autocar, promenant son oncle et le surprenant par ses pensées philosophiques et spirituelles. La spiritualité entre en scène en même temps que Gaby Hoffmann, en mère éperdument amoureuse de son enfant et à la fois suffisamment attentive à sa maturité pour traiter le petit garçon en être humain lucide, malgré son jeune âge. Elle apporte au film ce souffle sacré, ce mystère qui demeure, scène après scène, dans le sillon de sa parole sensible.

C'mon C'mon

INSTINCT PATERNEL

Sous ses accents de road movie, Nos âmes d’enfants présente un caractère singulier dans la lenteur du déroulement de son histoire, et dans sa forme de récit initiatique rythmé par un élément hors du commun. Il s’agit de son découpage par le biais de titres de livres qui s’affichent, divisant le film en chapitres littéraires, le plus marquant provenant d’un essai de l’écrivaine anglaise Jacqueline Rose intitulé : Mothers, an essay on love and cruelty. “Les mères sont le bouc émissaire ultime de nos échecs […], de tout ce qui ne va pas dans le monde et qu’il leur revient, de façon irréalisable bien sûr, de réparer.”

Sur fond de séquences d’improvisations tout à fait remarquables, initiées pour la plupart par le jeune Woody Norman qui déborde de cette sensibilité mystique que cultivent certains enfants, le film rapproche le monde des adultes de celui des enfants, que l’on croit protégés par une forme de candeur suggérée par leurs petits minois trompeurs. Mills prouve au contraire comment l’existence d’un petit garçon peut être complexe, peu rassurante, et comme il peut se montrer lucide par rapport à ce qui l’entoure malgré toute la bienveillance de ses proches s’occupant de lui.

Joaquin Phœnix, dont le jeu oscille entre joyeux laisser-aller et profonde pudeur, se met dans la peau de l’oncle ne sachant rien du monde des enfants, et qui ne demande qu’à apprendre. Et l’apprentissage est beau à regarder. L’oncle apprivoise peu à peu le garçon et l’on devine son père malade, inapte à la vie de famille car passant d’une émotion à une autre aussi vite que l’éclair : il devient donc l’enfant. Le véritable enfant, celui à la voix claire, va-t-il devoir grandir plus vite, titillé par la dure réalité qui l’entoure ? Comment l’en protéger, ou plutôt, comment lui apprendre à entrer dans cette réalité crue, par nécessité, et par souci d’honnêteté. C’est là le cheminement du film et, peut-être, du monde.

Bande-annonce

26 janvier 2022 – De Mike Mills, avec Joaquin PhoenixWoody Norman




%d blogueurs aiment cette page :