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LIMBO

Dans les bas-fonds de Hong-Kong, un flic vétéran et son jeune supérieur doivent faire équipe pour arrêter un tueur qui s’attaque aux femmes, laissant leur main coupée pour seule signature. Quand toutes leurs pistes s’essoufflent, ils décident d’utiliser une jeune délinquante comme appât.

CRITIQUE DU FILM

Si le polar hongkongais a acquis ses lettres de noblesse dès les années 1980 avant de devenir un phénomène cinématographique au cœur des années 1990, avec nombre de cinéastes devenus cultes comme John Woo, Johnnie To, Tsui Hark et beaucoup d’autres, le genre a progressivement disparu des écrans depuis une quinzaine d’années. Cela fait suite à la rétrocession de Hong Kong en 1997 et à la mainmise de la Chine continentale sur la région qui, outre des crises politiques comme lors de la révolution des parapluies en 2014, a aussi fortement impacté son industrie cinématographique et étouffé le vent de liberté créative et de subversion qui faisaient la force du cinéma hongkongais.

C’est dans ce contexte difficile que le réalisateur Soi Cheang nous propose ce qui s’avère être une œuvre quintessentielle de ce qu’était le polar hongkongais durant son âge d’or. Limbo est ainsi construit sur des archétypes classiques du genre. On y retrouve des figures connues et éprouvées, à commencer par le flic usé et marqué par la vie (Ka-Tung Lam), lequel se retrouve obligé de collaborer avec la jeune recrue aux méthodes scolaires (Mason Lee, qui n’est autre que le fils du réalisateur taïwanais Ang Lee). Ensemble, ils traquent un tueur en série fétichiste, qui ne laisse derrière lui que la main gauche de ses victimes, et pour le retrouver, ils vont devoir collaborer avec une délinquante en quête de rédemption (Cya Liu).

NOIR C’EST NOIR…

Si les personnages et l’histoire nous amènent sur un chemin déjà moult fois emprunté, ce qui démarque Limbo de ses prédécesseurs, c’est son environnement et sa photographie. S’il semble que le film ait d’abord été pensé et tourné en couleur, le choix du noir et blanc, même décidé à posteriori au moment de la post-production, est à saluer et constitue une réussite esthétique remarquable. Outre le parti-pris évident de présenter un polar sombre et rugueux en noir et blanc, la photo monochrome offre une vision quasi mythologique de cette ville de Hong Kong qui étouffe sous les ordures. Avec ses tours et ses gratte-ciels qui obstruent l’horizon, la pluie qui ne cesse de s’abattre sur le bitume, les sacs plastique et les cartons qui s’amoncellent jusqu’à tout recouvrir, les personnages se débattent dans un monde au bord du gouffre, où la vie et l’espoir ne tiennent plus qu’à un fil, rongés par la puanteur et la crasse d’une humanité qui semblent condamnée pour ses péchés.

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Cette imagerie crépusculaire d’une société à l’agonie où les individus errent au milieu de leur fange illustre parfaitement les limbes auxquels le titre du film fait référence et censés accueillir les âmes damnées aux portes de l’Enfer. En adaptant le roman The Wisdom Tooth de Lei Mi, Soi Cheang a transposé l’histoire qui se déroulait en Chine continentale à Hong Kong. Cette ville où il a grandi dans les quartiers défavorisés a souvent servi de décor et de toile de fond dans son cinéma, mais jamais il n’était parvenu à lui donner un visage d’une telle noirceur. En filmant ainsi la décrépitude de la ville, il donne à l’ancienne colonie britannique des atours fantasmagoriques qui paraissent issus d’un cauchemar. En plongeant sa caméra au milieu des détritus, aux côtés des marginaux et des laissés-pour-compte, il met aussi en lumière (et en ombre) les bas-fonds de la cité, ceux qui sont généralement cachés du regard du reste de la population, et il en fait le cœur et l’unique réalité de la cité.  

IL N’Y À PLUS D’ESPOIR ?

Réalisateur chevronné, à qui l’on doit des œuvres solides telles que Accident (2009) ou Motorway (2012), Soi Cheang s’était un peu égaré ces dernières années sur des films de commande à gros budgets pour le marché chinois (la trilogie des Monkey King, pour un résultat pas toujours des plus heureux). Il est donc d’autant plus satisfaisant de le voir retourner à ses origines pour livrer une œuvre personnelle à la mesure de son talent, lui avait commencé comme assistant-réalisateur aux côtés de cinéastes de renoms du polar made in HK comme Ringo Lam, Wilson Yip ou Andrew Lau. On pourra toujours regretter qu’il verse un peu trop facilement dans le pathos et des ressorts scénaristiques éculés, mais cela n’empêche pas d’apprécier pleinement cette œuvre à la mise-en-scène virtuose et digne du meilleur du genre.

Présenté au Festival de Berlin ainsi qu’à l’Étrange Festival en 2021, Limbo aura mis du temps à se frayer un chemin jusqu’à nos écrans. Une anomalie désormais réparée pour un film à l’atmosphère singulière et qui témoigne d’un savoir-faire indéniable. Si celui-ci n’est pas exempt de défauts, notamment du côté des ressorts psychologiques un brin caricaturaux de ses personnages, il n’en reste pas moins une expérience graphique qui ne laissera personne indifférent et qui mérite sans aucun doute d’être découverte sur les plus grands écrans pour en apprécier toute la richesse visuelle. Car jamais, de mémoire, des montagnes d’ordures n’auront semblé aussi belles…

BANDE-ANNONCE

12 juillet 2023 – De Soi Cheang, avec Ka Tung LamYase LiuMason Lee




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