SUZUME
Dans une petite ville paisible de Kyushu, une jeune fille de 17 ans, Suzume, rencontre un homme qui dit voyager afin de chercher une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une unique porte délabrée trônant au milieu des ruines, seul vestige ayant survécu au passage du temps. Cédant à une inexplicable impulsion, Suzume tourne la poignée, et d’autres portes s’ouvrent alors aux quatre coins du Japon, laissant entrer toutes les catastrophes qu’elles renferment. L’homme est formel : toute porte ouverte doit être fermée. Là où elle s’est égarée se trouvent les étoiles, le crépuscule et l’aube, une voûte céleste où tous les temps se confondent. Guidée par des portes nimbées de mystère, Suzume entame un périple en vue de toutes les refermer.
Critique du film
Avec la sortie de Your name, fin décembre 2016, Makoto Shinkai est devenu l’un des noms les plus attendus au sein du cinéma d’animation, bien au-delà du Japon dont il est originaire. Ce fut malgré tout une belle surprise de voir son nouveau film, Suzume, faire partie de la compétition de la Berlinale 2023, une première depuis plus de 20 ans dans ce domaine de l’animation japonaise. Dans ce nouveau long métrage, c’est sa passion pour la mythologie japonaise que le cinéaste met à l’honneur. Suzume, lycéenne de 16 ans, se retrouve embarquée dans une histoire où elle doit veiller à « fermer des portes » qui libèrent des forces monstrueuses et destructrices. Chacun de ces endroits se situe dans une des îles principales de l’archipel du Japon et a la particularité de se trouver dans un endroit désolé, marqué comme interdit d’accès et laissé à l’abandon après une catastrophe naturelle. Ce statut particulier se signale par deux points importants dans le récit.
Tout d’abord, Makoto Shinkai puise dans la tradition de son pays, où l’on réserve depuis des centaines d’années les montagnes aux dieux et ancêtres, piliers de la religion shintoïste très représentée au Japon. Cette mystique très particulière a fait le sel de nombreux films des studios Ghibli, où de petits esprits et autres forces de la nature habitent ces territoires reculés et mystérieux. Shinkai en fait une mission et une tradition pour un petit groupe de personnes dont la tâche est de surveiller que les « portes » restent fermées pour ne pas mettre en danger les villes qui les entourent. Ensuite, ces histoires sont utilisées comme des métaphores de tous les aléas climatiques et autres catastrophes naturelles subies par ce pays depuis des décennies, et notamment les tremblements de terre terrible du début des années 2010. En mêlant le magique et le quotidien des japonais, l’auteur écrit une histoire grand public qui lui permet de traiter de ces sujets plus graves.
Suzume est issue de cette tradition littéraire et orale où le monde des esprits cohabitent avec la société humaine, à la manière par exemple de la mythologie grecque qui ressemble à bien des égards à ce que veut mettre en place Shinkai dans sa direction artistique. Celle-ci est particulièrement ambitieuse et lumineuse, avec dès les premiers instants des scènes splendides qui voient le personnage de Suzume descendre à vélo la colline qui l’amène de son domicile (dans la ville de Miyazaki) à son lycée situé au bord de la mer. Le mouvement qui est imprimé dans cette introduction ne s’arrête plus, entrainant le film dans un « road movie » qui va balayer presque tous les lieux mythiques du Japon, à l’exception peut-être de l’île d’Hokkaido, située tout au nord de l’archipel. La jeune fille commence alors son parcours initiatique dans un rythme soutenu et particulièrement enthousiasmant. C’est pour elle l’occasion de retourner vers le chemin de son enfance et d’affronter le mystère de la disparition de sa mère biologique.
Comme dans tous ses films, le cinéaste crée une relation forte entre son personnage principal et un autre protagoniste, embryon d’une histoire d’amour qui sera le moteur de l’action. Une grande partie du charme de ce deuxième personnage, Souta, l’énigmatique étudiant de Tokyo, est sa transformation au bout de quelques minutes en une chaise en bois, à cause d’une malédiction. Cette situation cocasse et totalement imprévue amène beaucoup d’humour au film, dans un registre inhabituel qui voit une lycéenne courir en pleine rue après un chat et une chaise à trois pieds. Ce petit groupe insolite donne beaucoup d’énergie à l’histoire, toujours dans un registre très grand public, mais sans jamais brader son ambition artistique, ni perdre de vue sa capacité d’émerveillement qui est gigantesque. Suzume est un film de grande qualité qui rappelle une nouvelle fois l’importance du cinéma d’animation qui ne saurait continuer à vivre à coté des grands événements comme les festivals généralistes.
Bande-annonce
12 avril 2023 – De Makoto Shinkai, avec les voix de Nanoka Hara, Hokuto Matsumura et Eri Fukatsu.