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LETTRE D’UNE INCONNUE

Vienne 1900. Quelques heures avant l’aube et sur le point d’affronter en duel un adversaire, un mari trompé, qu’il a d’ailleurs l’intention de fuir, Stefan Brand, ex-pianiste célèbre, homme à femmes, reçoit une longue missive d’une inconnue, Lisa Berndle. Démarre alors en flashback le récit émouvant et douloureux d’une passion d’une femme pour un homme à son insu, une passion si absolue qu’elle semble irréelle, et pourtant…

Critique du film

Un amour si fort qu’il ne s’impose pas, qu’il ne se suffit de rien de moins que le plus magnifique des sentiments en retour. C’est le thème de ce film de 1948, le second réalisé aux États-Unis par le Franco-Allemand Max Ophüls, alors en exil pour échapper à la guerre. Il ressort en salles le 9 février dans une très belle copie restaurée en 4K par The Jokers Classic, anciennement La Rabbia.

Max Opuls (c’est ainsi que son nom apparaît au générique bizarrement) livre un des plus grands mélos de l’histoire du cinéma, à ranger tout près de Elle et lui (plutôt la version de 1957), Love Story (1970) et Nuits blanches (1957). À l’origine du film, une longue nouvelle de l’écrivain autrichien Stefan Sweig sortie en 1922 et devenue un best-seller. S’il en garde les grands axes, le film diffère du texte original sur plusieurs points, notamment le caractère sexuel qui est gommé ici à cause de la censure. Chez Sweig, le protagoniste est écrivain, dans le film il est pianiste, un métier beaucoup plus cinégénique ! De plus, l’idée brillante du duel est une invention du scénariste Howard Koch, le co-auteur de Casablanca (1942), victime par la suite du maccarthysme et placé sur la liste noire d’Hollywood en 1951.

Raconté en flash-back, Lettre d’une inconnue tourne entièrement autour de son héroïne jouée par Joan Fontaine dont on suit l’évolution : jeune femme au début du film, elle tombe amoureuse de Stefan (joué par le Français Louis Jourdan), puis devenue mère, elle se fixe avec un homme plus âgé qui la protège du besoin. Inutile de trop en dire sur l’histoire, qui ne saurait souffrir le moindre divulgachage. Disons simplement que Lettre d’une inconnue est souvent cité parmi les meilleurs films de l’histoire du cinéma. Et ce n’est pas une réputation usurpée. La réalisation de Max Ophüls est admirable de fluidité, de simplicité, et de poésie. La construction narrative, grâce aux retours en arrière, permet de donner toute son amertume au présent, et son côté inaccessible au passé : la fatalité d’un destin auquel Stefan ne peut échapper.

Les acteurs sont formidables, même si Joan Fontaine fait trop vieille au début du film (l’actrice a 30 ans et incarne une fille de 16). Louis Jourdan, qui venait de se faire connaître dans Le Procès Paradine d’Hitchcock, campe un Stefan suave et tourmenté, dont on ne connaît jamais vraiment les motivations. Outre une histoire d’amour poignante, le film propose la radiographie d’une société dans laquelle les hommes ont le droit d’être frivoles mais pas les femmes. Et dans laquelle le poids des conventions peut sceller le destin d’un homme.

Sentiment universel

Alors, pourquoi les films sentimentaux, quand ils sont réussis, sont-ils si marquants ? Sans doute parce qu’ils font appel au plus universel des sentiments humains (ex-aequo avec la peur), l’amour, dont l’art a de tout temps contribué à rendre visible les mécanismes intimes : l’étincelle du début, ses fluctuations, sa fin. Sans doute aussi, quand elles s’éloignent du romantisme à l’eau de rose, ces œuvres touchent-elles à l’universel en nous faisant partager la vérité d’une relation qui nous est étrangère, chose quasi impossible dans la vraie vie.

Lettre d’une inconnue a cette qualité qu’il inscrit cette histoire d’amour dans une dimension dramatique poignante qui reste aussi forte à chaque vision. Le film se joue aussi des stéréotypes masculins et féminins tout en les perpétuant : l’homme est frivole et forcément superficiel, alors que la femme est ancrée dans le réel et la maternité, même si elle est prête à tout sacrifier pour retrouver son amant. La musique, elle, joue un rôle important. C’est elle qui stimule l’intérêt de Liza pour Stefan, elle qui scelle leurs retrouvailles bien plus tard, elle encore, par son absence, qui marque la déchéance du pianiste.

On ne saurait trop conseiller de partir à la rencontre de Liza, une femme traversée par un amour plus grand qu’elle, dans ce film signé par un réalisateur qui a, tout au long de sa carrière, dressé des portraits de femmes sublimes, notamment Madame de… (1953) et Lola Montès (1955).

 

9 février 2022


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