Le diable n’existe pas

LE DIABLE N’EXISTE PAS

Iran, de nos jours. Heshmat est un mari et un père exemplaire mais nul ne sait où il va tous les matins. Pouya, jeune conscrit, ne peut se résoudre à tuer un homme comme on lui ordonne de le faire. Javad, venu demander sa bien-aimée en mariage, est soudain prisonnier d’un dilemme cornélien. Bharam, médecin interdit d’exercer, a enfin décidé de révéler à sa nièce le secret de toute une vie. Ces quatre récits sont inexorablement liés. Dans un régime despotique où la peine de mort existe encore, des hommes et des femmes se battent pour affirmer leur liberté.

Critique du film

Le diable n’existe pas est un de ces films que nous attendions depuis un long moment, dévolu à une sortie salle depuis de nombreuses semaines, avant que le rideau de fer de la rigueur sanitaire empêche toute exploitation en France. Mohammad Rasoulof est un de ces réalisateurs qu’il faut suivre de près, éclatant d’autant plus au monde avec son Homme intègre (2017), qui avait éclaboussé de toute sa classe le paysage cinématographique mondial. Ce nouveau projet est à la hauteur de l’ambition de l’auteur, ce sont quatre récits qui composent la vaste mosaïque voulue et conçue par le réalisateur iranien. A l’instar de Ryusuke Hamaguchi et son Wheel of Fortune and Fantasy, Rasoulof assemble des histoires indépendantes pour tourner autour d’un axe de pensée resserré autour d’une idée.

La peine de mort et son impact sur les personnes qui doivent servir de bourreau est le centre qui polarise toute la narration du Diable n’existe pas. Si celle-ci est abolie dans l’immense majorité des démocraties contemporaines, depuis 1981 en France sous l’égide de Robert Badinter et François Mitterrand, elle sévit toujours dans le régime iranien. Le premier axe fort du film tourne autour des personnes, des hommes, qui servent de bourreaux.

A ce titre, la première histoire est glaçante, elle déroule des actes du quotidien, une famille comme une autre, avec des membres compris sur plusieurs générations, et des préoccupations banales d’un quotidien auquel n’importe quel spectateur peut se raccrocher et s’identifier. Jusqu’à ce que tout bascule en une scène et que Rasoulof bouleverse les repères du spectateur et le plonger dans une problématique troublante et bouleversante plantant toute l’ambiguité qui gouverne la vie des iraniens.

Le diable n'existe pas

De cette base, achevée sur un plan d’une grande violence, il interroge quiconque regarde sur la responsabilité de chacun. Peut-on accepter de jouer un tel jeu pour s’insérer dans la communauté des citoyens ? Est-ce un rite de passage qu’il faut accepter quand cela est une règle du pays dans lequel on vit, sans juger avec un regard occidental extérieur et paternaliste. C’est là tout la complexité de ce premier moment, comment réagir à un tel aléa, si loin de nous, et avec tout ce qu’il induit de remise en question, constituant un moment de crise particulièrement aigu et fondateur pour un être humain tout juste entré dans l’âge adulte.

On repense au fameux texte de Michel Foucault, Surveiller et punir, et du passage de la sphère publique à la sphère privée du châtiment et du sacrifice. Cette mise en abime est passionnante à de multiples titres, notamment dans nos rapports à la mort et à qui la donne, ainsi qu’à la légitimité de cette violence légale détenue par l’Etat.

Les deux dernières séquences sont quant à elles des révélateurs des répercussions d’un tel acte sur toute une famille, voire sur toute une communauté. Détenir cette violence et ce pouvoir de donner la mort peut faire s’effondrer tout un équilibre fondé sur le respect et la confiance. Celui qui donne la mort, couvert par la loi et même obligé par elle, devient un être honni, destructeur des strates de sociabilité, faisant imploser toutes alliances nouées remettant en cause toute une vie de compromis et d’accords entre les êtres. D’une part, un mariage et un amour sont anéantis, la mort venant immiscer entre les amants et, d’autre part, les mensonges, les exils et les sacrifices effectués apparaissent au grand jour pour une jeune femme qui apprend que toute sa vie est le fruit d’une invention visant à la protéger de ces choix douloureux déstabilisant l’individu mais aussi le collectif.

Mohammad Rasoulof réussit un récit multiple brillant, où chaque instant entrechoque le suivant pour prolonger une analyse bouleversante d’un geste aussi fondamental que la violence légale. Cette question, qui donne la mort, déploie des ondes de chocs qui détruit les familles, les vies, et tout l’ordre établi. Du fond de nos conforts occidentaux, la violence de ces questions remue énormément, faisant remonter à la surface des questionnements qu’on croyait acquis et universels. Ce que soulève Rasoulof est un tourbillon qui traverse l’esprit avec beaucoup de fracas dont on ne ressort pas totalement indemme. Si le film est long, c’est dans une cohérence et une intelligence qui force le respect, brillant par une mise en scène claire et limpide alternant entre violence et éloquence.

Un coup de maître qui a mérité son Ours d’or à Berlin en 2020.

Bande-annonce

1er décembre 2021 – De Mohammad Rasoulof, avec Ehsan Mirhosseini, Kaveh Ahangar et Alireza Zareparast.




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