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TRUE MOTHERS

Satoko et son mari sont liés pour toujours à Hikari, la jeune fille de 14 ans qui a donné naissance à Asato, leur fils adoptif. Aujourd’hui, Asato a 6 ans et la famille vit heureuse à Tokyo. Mais Hikari souhaite reprendre le contact avec la famille, elle va alors provoquer une rencontre…

CRITIQUE DU FILM

Présenté à San Sebastian et à Toronto en septembre de l’année dernière, c’est seulement aujourd’hui dans un contexte passablement dégradé par la pandémie mondiale, que peut enfin sortir le nouveau film de la réalisatrice japonaise Naomi Kawase. Si sa ville de Nara n’est jamais bien loin, elle s’éloigne de son giron familial pour explorer le Japon à travers une multitude de points de vue concernant un enfant et ses mères. L’adoption, sous tous ses aspects, est le cœur de True Mothers, qui fait particulièrement briller ses actrices, Hiromi Nagasaku, la mère adoptive, et Aju Makita, la mère biologique. En tournant autour de ces deux femmes, chacune à tour de rôle racontant un même aspect de l’histoire, Kawase crée un labyrinthe de scènes toutes pointées vers ce petit garçon, Asato.

Contrairement à une narration classique, l’histoire commence quand Asato a 6 ans et des problèmes avec un camarade de son école – celui-ci, par le biais de sa mère, l’accuse de l’avoir poussé et par voie de conséquence blessé. Cet événement, somme toute mineur, révèle des failles dans cette famille de trois personnes et notamment leur fragilité dans leur sentiment de légitimité vis à vis de leur fils. Le couple semble plutôt aisé, vivant dans un bel appartement d’une tour moderne de grand standing, mais malgré tout, ils semblent très affectés par leur statut de parents adoptifs, comme si une peur ne cessait de planer au-dessus d’eux, tel un fantôme. Ce spectre a pour nom Hikari, qui a donné vie à Asato quand elle n’avait que 14 ans. Sa réapparition est présentée comme cupide, animée d’un besoin de faire de l’argent sur le dos de cet enfant qu’elle a placé en adoption. Le point de vue est dur et présente le couple comme en difficulté et presque faible face à leur interlocutrice qu’on ne montre pas, jamais cadrée de face, comme un ennemi invisible.

Dès le second temps on comprend toute la beauté du projet, c’est désormais une Hikari adolescente et écolière qu’on retrouve au début de son aventure filiale. Son histoire d’amour, sa première, est belle et innocente, mais teintée des injonctions données à l’adolescence d’aller plus loin, de tenter plus, jusqu’à l’inconscience. Cette deuxième séquence la présente vraiment, dans sa simplicité, car elle n’est pas différente des jeunes filles de son âge. C’est un tout autre portrait auquel on assiste, et l’empathie change peu à peu de camp au point qu’on en vient à douter que les deux jeunes femmes soient vraiment les mêmes. La mise en scène joue sur ce point, présentant plusieurs personnages et jetant le trouble sur celle qui finit par se présenter devant les parents adoptifs à mi-récit. La qualité de l’écriture intervient une fois de plus, rappelant qu’une même personne par son expérience et les aléas change subtilement jusqu’à devenir quelqu’un d’autre.

Au delà de ces deux portraits de femmes, Naomi Kawase décrit un contexte autour de l’adoption au Japon qui est fascinant à plus d’un titre. Elle décrit une certaine opprobre autour de ce phénomène qui crée une forme d’exclusion voire de discrimination, et elle décrit très bien ces réseaux d’entraide qui permettent à des adolescentes tout juste pubères de surmonter l’épreuve d’une grossesse bien trop précoce. Toute la période où Hikari est dans cette association assurant la transition et la présentation avec les adoptants est magnifique. Elle constitue un pont entre les protagonistes, aplanissant les différences si prégnantes au début du film. Les failles de chacun s’affichent au grand jour, la souffrance de ces familles qui ne peuvent avoir d’enfants biologiquement, et le drame de celles qui ne se retrouvent mères avant même d’avoir fini le lycée. Ce que cela dit de la famille au Japon, mais aussi dans toute la zone géographique tant on retrouve la même chose en Corée par exemple, prouve à quel point le sujet est toujours sensible et la place des jeunes filles si précaire.

True mothers

L’émotion est partout dans True Mothers, car il n’y a pas ici de destin facile, de trajectoire évidente, que des luttes précaires pour des femmes à qui rien n’est facile. Comment se sentir femme quand on ne peut être mère dans une société qui ne valorise que trop cette fonction pour ce genre ? Comment trouver sa voie quand on est rejeté par sa famille pour une erreur de jeunesse ? Toutes ces questions sont magnifiquement posées par Naomi Kawase qui fait se rejoindre les personnages plutôt que de les opposer, dans une convergence qui fait chaud au cœur bien loin des divisions et de la noirceur qu’il aurait été si facile de souligner. La synthèse s’opère avec un grand naturel dans le dernier acte, la famille adoptive désirant inclure Hikari plutôt que de la rejeter, cassant un cycle néfaste pour cette jeune femme qui n’a connu que la difficulté depuis le début de son « aventure ».

Film après film, Naomi Kawase confirme la finesse de son trait et son cinéma, bien loin d’une image de « films de festivals » tellement son travail tend à l’universel. L’humanité et la tendresse qu’elle insuffle en filigrane de chacune de ses histoires, toujours avec bienveillance, est un modèle du genre. Ce qu’elle creuse avec son écriture douce et sensible s’affirme comme un antidote à la laideur et la violence d’un moment qui a diablement besoin du cinéma de Naomi Kawase.

Bande-annonce

28 juillet 2021 – De Naomi Kawase, avec Hiromi Nagasaku, Aju Makita et Arata Iura.




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