La femme qui s’est enfuie_8

LA FEMME QUI S’EST ENFUIE

Pendant que son mari est en voyage d’affaires, Gamhee rend visite à trois de ses anciennes amies. A trois reprises, un homme surgit de manière inattendue et interrompt le fil tranquille de leurs conversations.

Critique du film

Après trois films en noir et blanc, Hong Sangsoo revient aux couleurs et semble amorcer une sorte de nouveau cycle. Hotel by the river sonnait comme une oraison funèbre, une dérive de ses personnages au pays de la mort. La femme qui s’est enfuie, deuxième film en 2020 en France pour le maître sud-coréen, a lui des allures de bilan. Kim Minhee a abandonné ses cheveux longs pour elle aussi amorcer une nouvelle route. C’est tout du moins le cas pour son personnage qui, de son propre aveu, se retrouve seule l’espace de quelques jours pour la première fois depuis des années. Sa relation fusionnelle avec son mari a occupé toute la place, et pour ne pas être trop désemparée elle se retourne vers de vieilles amies perdues de vue. Chacune de ces rencontres épouse un patron bien précis.

Tout d’abord, une discussion des plus cordiales, comme souvent chez HSS on parle nourriture, boisson, presque du temps qu’il fait. La trivialité de ces échanges est accompagnée de sourires, d’une joie et d’une paix apparentes. L’auteur s’amuse pour chaque situation à provoquer un point de rupture dans le récit, une chute qui vient bouleverser l’humeur et la couleur de la scène. Dans les trois cas, cela prend la forme d’un homme, non invité, qui fait irruption entre elles et change la polarité jusqu’ici positive des discussions. Ils sont les agents perturbateurs qui détruisent la quiétude des lieux. Que ce soit un voisin insistant qui crée le malaise pour une simple histoire de chats errants, ou un ex-amant qui ne veut pas se faire congédier, c’est l’homme qui vient emboutir les débats, et révéler les brèches dans la concorde décrite jusque-là.

la femme qui s'est enfuie

Son plus beau film depuis Un jour avec, un jour sans

Hong Sangsoo provoque la chute par ces deux ex machina, et il change radicalement la nature même de l’entreprise de Gamhee. De visites de courtoisie, on peut venir à se demander si son objectif n’est pas plus mystérieux. La scène la plus révélatrice de ce doute est la toute dernière, le plat de résistance incarnée par l’amie qui vit avec l’ancien fiancé, le souvenir d’une tromperie et d’un cœur brisé. Là encore c’est le personnage de Kwon Haehyo qui fait basculer l’intrigue dans le drame et le malaise. Il contamine Gamhee et les dialogues jusqu’à devenir étouffant. Tout est orchestré vers ce point précis : la confrontation entre un passé douloureux et une femme qui s’est reconstruite à la marge de son ancienne vie. Tout le talent de Kim Minhee explose littéralement dans ce moment : la colère et la frustration intériorisées jusque-là sont des évidences peintes sur son visage si expressif. Ces personnes si heureuses dans leur vie actuelle sont remplacées l’espace d’un instant par ceux qu’ils furent des années auparavant, s’abandonnant à leurs plaies non cicatrisées.

Le cinéma n’est jamais bien loin chez HSS, même quand on croit que pour une fois on est plus dans la quête existentielle, il nous rappelle que la grammaire propre au septième art n’est jamais bien loin dans son écriture. Cet homme si veule joué par son acteur fétiche, n’est autre qu’un metteur en scène. Cette scène rappelle aussi l’aspect manipulateur et destructeur que peut contenir une relation de plateau et les liens de pouvoir qui s’y agitent. L’ultime clin d’œil autoréférentiel du film intervient dans sa conclusion : seule Gamhee recherche le réconfort d’une salle de cinéma, à l’instar du personnage que jouait déjà Kim Minhee dans Un jour avec, un jour sans. L’émotion de la retrouver dans la même position a le don de nous rappeler que pour nous aussi, spectateurs, la salle obscure redevient un baume qui panse les maux, après nous avoir tant manquée.

Bande-annonce

30 septembre 2020 – De Hong Sangsoo, avec Kim Minhee, Seo Younghwa et Kwon Haehyo .




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