featured_ils-sont-vivants

ILS SONT VIVANTS

Veuve depuis peu, Béatrice vit avec son fils et sa mère. Sa rencontre avec Mokhtar, enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe, va bouleverser son quotidien et ses convictions. Par amour pour lui, elle va devoir défier les préjugés de son entourage et les lois de son pays.

Critique du film

Ils sont vivants s’ouvre sur une scène d’enterrement qui ne se déroule pas sans encombres, la faute à un cercueil trop grand pour le caveau familial. Béatrice, qui enterre son époux décédé des suites d’une cirrhose du foie, préfère couper court à la cérémonie pour rentrer avec ses proches et s’éviter l’hommage grotesque de ses anciens collègues au milieu des coups de burin. Ex-policier très apprécié de ses copains portant l’uniforme, l’homme ne sera pas en revanche particulièrement regretté par son épouse qui a souffert de ses excès de violence.

Aide-soignante investie, Béatrice souhaite tourner la page et se retrouver. Un soir, elle renverse en sortant de sa place de parking un migrant, qu’elle dépose (un peu coupable) devant l’entrée nord de la fameuse « Jungle » de Calais. Elle découvre ainsi, par hasard, l’univers de ces hommes et femmes prêts à tout pour traverser la Manche, dans l’espoir d’une vie meilleure, ainsi que le quotidien des bénévoles sur le campement. Intriguée mais encore craintive, elle retourne sur place pour assouvir un sentiment difficile à identifier de prime abord – curiosité malsaine, méfiance, inquiétude ? Un jour, en un regard, quelques gestes et une cigarette partagée, Mokhtar attire son attention et réveille, malgré elle, le désir – sentiment réprimé en elle depuis bien trop longtemps. Cette rencontre va remettre en question ses convictions, balayer ses préjugés, mais aussi désarçonner ses proches méfiants ou trop enclins à sombrer dans une vision xénophobe du désordre humain qui agite la ville de Calais.

Iels sont vivants

Inspirée par le récit de Béatrice Huret, Calais mon amour, Marina Foïs a confié son vif intérêt pour cette histoire à son ami Jérémie Elkaïm (rencontré sur le tournage de Polisse) qui y a vu l’opportunité de concrétiser un voeu qu’il s’était jusque là interdit de nourrir : réaliser son premier film. Après avoir longtemps collaboré avec son ancienne compagne, Valérie Donzelli, il franchit le pas en veillant à ne pas tomber dans les écueils d’une bluette maladroite sur fond de crise des réfugiés ou du film à thèses désincarné qui aurait trop vite fait de sonner faux. Il choisit ainsi de sonder l’intime plutôt que le politique pour raconter le destin de cette femme et donner corps à ces échanges qui s’affranchissent de la barrière de la langue, par des regards, le toucher et, aussi, un smartphone, vers la découverte réciproque. 

À fleur de peau de ses personnages, Elkaïm raconte avec une vraie justesse ce basculement entre peur de l’autre et empathie chez cette femme qui en avait oublié de vivre, d’aimer et de désirer, étouffée par un mari maltraitant et un entourage obtus. Le deuil de cette épouse bafouée devient l’opportunité d’une renaissance sentimentale et charnelle, dans une reconfiguration personnelle de ses valeurs et de ses envies. Marina Foïs brille dans ce rôle de femme en réinvention d’elle-même aspirant à reprendre possession de sa vie et sa liberté, même si elle réprime d’abord, longtemps, les sentiments qui jaillissent en elle, tandis que Seear Kohi campe de sa présence magnétique cet enseignant iranien déterminé et déroutant que l’on craint un temps manipulateur mais qui s’avère finalement désarmant de sincérité. 

Pour ses débuts derrière la caméra, Jérémie Elkaïm livre avec Ils sont vivants un premier long-métrage organique, sensuel et poignant qui trouve en ses comédiens une formidable incarnation, au coeur d’un drame contemporain qui se joue quotidiennement dans l’indifférence presque générale.

Bande-annonce


23 février 2022De Jérémie Elkaïm, avec Marina FoïsSeear KohiLaetitia Dosch