HINTERLAND
Critique du film
Jacques Ferron qualifiait de poétique la distorsion de la forme sur le fond. Familière étrangeté, parfois même qualifiée de défaut, la déformation de l’image par le support même censé le reproduire, procure ce double sentiment de curiosité et de malaise qui résume sans conteste l’expérience du visionnage de Hinterland, douzième long-métrage de Stefan Ruzowitsky.
Amateur des ambiances sombres et tourmentantes, le réalisateur du remarqué Les Faussaires y explore pleinement le choc culturel ayant frappé non seulement l’Autriche mais l’Europe toute entière au lendemain de la Première Guerre mondiale. En suivant le parcours d’un vétéran impérialiste dans une Vienne républicaine, Ruzowitsky raconte autant la difficulté du retour chez soi que la reconstruction d’une société toute entière.
ARRIÈR(É) PAYS
Plus que soignée, la direction artistique du film se révèle en véritable tour de force. Tourné sur fond bleu, assumant pleinement son décalage entre une recherche de réalité historique et l’implantation d’effets oniriques, Hinterland réussit, par la seule interaction des ses acteurs avec ses environnements, à rendre par l’image la sensation d’une époque cherchant désespérément à se rebâtir sur des fondations bancales et dépassées.
Jouant habillement de l’aspect hautement artificiel de ces décors d’abord dessinés puis adaptés en numérique, Hinterland démontre l’extraordinaire pouvoir narratif de la seule action filmée. L’absurdité d’un monde aux perspectives insensées devient la parfaite métaphore d’une existence sans logique, prise entre la douloureuse acceptation d’une défaite et la nécessité d’aller de l’avant. Le grand hommage à l’expressionnisme allemand, que l’on pouvait craindre simplement plastique, y trouve toute sa légitimité.
Riche de nombreux thèmes, le choix de la dépeinte d’un groupe d’hommes, partis représentants d’un grand empire et revenant prisonniers d’une guerre perdue, réussit à illustrer la métaphore d’une souffrance de tout ce qu’un homme ayant un concept traditionnel de la masculinité craindrait le plus. De l’orgueil patriotique tourné en ridicule au pater familias abandonné, des stigmates physiques et psychologiques aux injures publiques, la performance de Murathan Maslu porte le film malgré certains écueils scénaristiques prévisibles – de sa liaison furtive avec sa partenaire d’enquête à la résolution du mystère entourant le meurtrier qu’il traque.
On regrettera l’inégalité de jeu des autres interprètes, ainsi qu’une écriture de dialogues inutilement appuyée, qui desservent plus qu’elles n’apportent à un film qui, dans sa seconde moitié, semble d’avantage explorer les genres et les ressorts dramatiques que de se raconter par sa force visuelle. L’exercice de style remarquable en devient lourd et dommageable, parachevant le sentiment d’être quelque peu passé à côté de son potentiel.
Bande-annonce
28 décembre 2022 – De Stefan Ruzowitsky
avec Murathan Maslu, Max von der Groeben et Liv Lisa Fries