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HEROES – THE BATTLE AT LAKE CHANGJIN

Hiver 1950, l’armée populaire de Chine entre en Corée du Nord… Les troupes postées sur le front oriental vont combattre au lac Changjin, dans des conditions de froid extrême, n’ayant que peu de rations et accusant un important retard d’armement face à l’armée américaine menée par le général MacArthur. Avec pour seuls alliés leur volonté de fer et leur courage, les soldats chinois vont lutter au-delà de l’entendement et livrer une bataille qui restera à jamais gravée dans les mémoires

Critique du film

Véritable tempête en Chine depuis sa sortie l’année dernière, Heroes : The Battle at Lake Changjin est ce blockbuster de tous les records – film chinois le plus cher jamais produit, second long-métrage le plus rentable de 2021 grâce à la seule sortie sur son territoire d’origine – dont les échos ne sont parvenus que timidement jusqu’en Europe. Témoin des disparités entre la Chine et le reste du monde, ce film de près de trois heures sur la guerre de Corée se révèle aussi intrigant en première lecture (celle de l’actioner où l’emphase est le maître mot) que lorsqu’on prend un peu de recul pour appréhender sa façon de se débattre entre l’adhésion et le rejet des formes du grand spectacle américain.

Cette superproduction est ainsi dirigée par quatre co-réalisateurs : Dante Lam, Tsui Hark, Chen Kaigeet le Parti communiste chinois, qui a commandé la réalisation du film à l’occasion du centième anniversaire de sa fondation. Le point de vue biaisé dans la représentation du conflit est, de fait, particulièrement difficile à ignorer, même pour le spectateur ayant une très vague connaissance des événements : l’absence totale du peuple coréen dans un film sur la guerre de Corée est un premier indice certain, et l’ensemble est finalement résumé à un bras de fer sino-américain où la Chine ne fait que se protéger de l’impérialisme des États-Unis.

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Les images et la mise en scène sont ainsi dédiées à la glorification des soldats chinois, soulignant à chaque instant leur courage et leur ténacité avec des moyens formels finalement peu éloignés des productions hollywoodiennnes : percussions militaires, regards entendus, empoignades chaleureuses, grande solennité de l’ensemble… L’hommage permanent à l’armée et ses hommes conduit le film à nommer consciencieusement tous les gradés apparaissant à l’écran, par des sous-titres très envahissants, sans pour autant leur donner une quelconque substance. En dehors des deux personnage principaux, à la relation fraternelle surannée mais fonctionnelle, et du vieux briscard qui prend la jeune recrue sous son aile, les autres protagonistes restent des visages en arrière-plan, perdus dans une masse de figurants toujours plus importante – et anonyme. Si ce choix dessert la panthéonisation orchestrée par le film (qui tourne finalement à l’épinglage de cartes à collectionner), il permet de développer en parallèle l’idée d’un « corps » social de la Chine qui naît du rassemblement de tous ses citoyens. La scénographie des figurants, fondée sur un profond principe d’unité, appuie cette lecture : lorsque le bruit d’un avion ennemi se fait entendre, ce n’est pas un soldat qui se fige mais la compagnie toute entière, et c’est un organisme unique qui se déploie pour faire face au danger, qui est déplacé, meurtri mais toujours battant.

Le long-métrage reste toutefois thématiquement assez faible, ne développant pas de propos affirmé au-delà de son éloge de l’héroïsme aux contours mal définis. La réalisation partagée entre plusieurs cinéastes a certainement participé à cette dilution, dans un ensemble déjà peu aidé par ses enchaînements étranges entre deux grosses scènes d’action. Les passage du coq à l’âne, ellipses mal annoncées et autres coupes brusques sont peut-êtres les scories d’un montage retravaillé au cours de la production, mais s’estompent fort heureusement dès que des affrontements sont mis en scène. Le film parvient ainsi à restituer à l’action son caractère impressionnant, depuis longtemps perdu dans le cinéma américain. On pense avoir trop vu des explosions dans tous les sens, et pourtant l’attaque du train, vidé en urgence de ses marchandises avant un bombardement, se vit comme une véritable catastrophe. Tout se joue dans l’équilibre entre l’emphase propre au cinéma d’action chinois et hong-kongais, le dévouement physique des interprètes et la frénésie du montage qui semble se prolonger sans cesse.

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Contrairement à une certaine veine du divertissement américain qui, après avoir ouvert la boîte de Pandore du numérique, s’est subitement retrouvé dévitalisé par sa propre surenchère et incapable de représenter quoi que ce soit, la superproduction de Dante Lam, Tsui Hark et Chen Kaige ne déploie pas son caractère excessif dans l’invention de situations toujours plus ahurissantes, mais dans la façon dont les personnages font l’expérience des événements. Si le face à face avec les deux avions américains est si fort, c’est parce que la scène reste à l’échelle de l’homme, dépassé, mis à genoux par la situation, mais restant au centre de l’image. Mieux encore est ce moment du travelling numérique où la caméra passe d’un soldat à l’autre, tout en cherchant la menace ennemie dans le hors-champ : l’individu est replacé au sein du groupe et, l’espace d’un plan, le corps militaire est unifié par un sentiment commun.

C’est ce corps physique (de l’acteur) et social (l’unité militaire) qui sert de point d’ancrage aux scènes d’action chaotiques. Au milieu des effets de tirs et d’explosion, du montage pas toujours lisible, la persistance des interprètes comme de leurs personnages, en apnée parfois dans des séquences de plus de vingt minutes, devient quelque peu magnétique et capte l’œil du spectateur autant qu’elle soutient la structure générale de la scène. On retrouve ainsi, à plusieurs instants, non pas la précision des choix de mise en scène qui ont fait les belles heures de la carrière de Tsui Hark, mais une fascination générale pour ce sens de l’action démesuré dans sa mesure.

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The Battle at Lake Changjin n’est pas l’objet composite et aseptisé qu’il aurait facilement pu devenir. Bien que les scènes d’action se déroulent sans saillie majeure – contrairement à Il était une fois en Chine, Time and Tide et bien d’autres – elles font preuve d’une nervosité et d’une générosité qui restent l’apanage du divertissement sino-hongkongais. Le pan historique du récit, centré sur les personnages, est en revanche totalement fonctionnel, sans doute à cause du statut de commande du long-métrage. Le sujet du scénario et les importants moyens du film laissaient deviner une fresque cinématographique mais l’ensemble n’en a finalement ni la densité, ni la profondeur : quitte à ce que les idées défendues soient aussi simples et univoques, les soutenir avec de grands parti pris formels aurait été autrement plus grisant.

Cette superproduction possède toutefois une ultime qualité que l’on ne soupçonnait pas : sa valeur de contrepoint par rapport aux habitudes et codes imposés par le cinéma hollywoodien. Le fait que les représentations de l’héroïsme de deux pays politiquement opposés se recoupent autant, prête dans un premier temps à sourire, mais pousse aussi, par ricochet, à interroger nos propres habitudes d’images, à revenir sur tous les films occidentaux présentant un patriotisme similaire et à reconsidérer les valeurs et la force politique qui en émanent. Cela nous conforte dans l’idée qu’il y a davantage à voir dans Heroes que dans les grosses productions d’ailleurs.

Bande-annonce

27 juillet 2022 (en vidéo) – De Dante Lam, Tsui Hark et Chen Kaige
avec Jing Wu, Jackson Yee et Duan Yihong


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