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FANTASIA

Fantastique

Une suite de huit dessins animés illustrant de grands morceaux de musique classique.

Concerto kaléidoscopique.

À l’heure où animation ne rime presque plus qu’avec ordinateur et où Disney ne résiste pas à la mouvance hollywoodienne du recyclage à tout va, l’envie (voire le besoin) se ressent de se réfugier dans les premiers long-métrages de l’histoire de l’animation. Ces œuvres où l’on pouvait encore déceler les coups de crayons dans les dessins, où les animateurs rivalisaient d’imagination et d’ingéniosité pour faire rêver le spectateur, pour créer des séquences a priori irréalisables, et où l’audace technique se conjuguait à l’audace artistique. Fantasia, considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre de Disney, est sûrement le plus beau représentant de cette époque bénie.

Perle de l’animation

Troisième long-métrage du studio, sorti en 1940, Fantasia s’impose comme une œuvre unique tant par son concept de concert en images, que par sa virtuosité technique. Le film nous invite à un voyage à travers l’histoire de la musique grâce à des illustrations animées de huit grandes œuvres. En vertu de l’ambition première de Walt Disney de faire une œuvre désacralisant la musique pour la faire découvrir au plus grand nombre, notamment aux enfants, Fantasia se veut didactique et ludique, mais sans renier une réelle ambition artistique empreinte de beaucoup de poésie.

Le film s’ouvre comme un concert, avec l’arrivée des musiciens dans un jeu d’ombres et de couleurs qui laisse déjà présager l’animation à venir. La présentation de chaque court-métrage et de l’œuvre musicale qui lui est associée par le critique Deems Taylor, outre son côté didactique, marque l’ambition de Fantasia d’aller au-delà du simple film pour s’imposer comme un véritable spectacle. Spectacle dont l’ouverture sur la Toccata et fugue en ré mineur de Bach est une invitation à rejoindre le monde onirique de l’animation. Elle reprend, en l’amplifiant, le jeu d’ombres et de couleurs précédemment évoqué, pour mieux le prolonger ensuite par une animation qui flirte avec l’abstraction et qui, associée à un subtil jeu de couleurs, transporte le spectateur dans un rêve musical fabuleux, qui va se poursuivre de court-métrage en court-métrage.

La revisite du Casse-noisette de Tchaïkovski en est un des plus beaux exemples. De valses en ballets ethniques au cœur de la nature et au fil des saisons, elle subjugue par la somptuosité et la délicatesse de son animation, à l’image de ces fées venant réveiller un jardin en y déposant des gouttelettes de rosée. D’une narration plus classique, L’Apprenti sorcier, sur la musique de Paul Dukas, met en scène un Mickey redessiné pour l’occasion et dont la légèreté habituelle se teinte de plus de noirceur, notamment grâce à un style visuel empruntant énormément à l’expressionisme allemand. Le Sacre du Printemps de Stravinsky va, lui, servir de base à un voyage dans le temps, de l’origine de la Terre jusqu’à la disparition des dinosaures, en passant par l’apparition de la vie. Se basant sur les connaissances scientifiques les plus pointues de l’époque, ce court-métrage se veut un épique documentaire animé, qui conserve cependant un conducteur narratif assez cinématographique avec pour climax l’affrontement entre deux dinosaures.

Après un entracte didactique (et la superbe animation d’une piste sonore), c’est un court-métrage mettant en scène les dieux grecs qui vient illustrer La Symphonie Pastorale de Beethoven. Ce segment émerveille par son style Art Nouveau et Art Déco et son utilisation des couleurs, des plus vives (nous sommes à l’époque du Technicolor) aux plus sombres (magnifique séquence de l’orage). Fantasia se poursuit sur un court plus ancré dans la tradition Disney avec La Danse des heures de Ponchielli. On y retrouve l’anthropomorphisme cher au studio avec des autruches, des hippopotames, des éléphants et des alligators lancés dans une caricature de ballet. L’humour au cœur de cette séquence n’empêche pas la prouesse technique, avec une animation arrivant à conférer légèreté et finesse à des animaux pourtant à la base peu gracieux.

L’ultime court-métrage de Fantasia se place aussi d’une certaine manière dans la tradition Disney avec son manichéisme que l’on retrouve souvent dans les productions du studio. Le mal et le bien s’opposent ici à travers deux œuvres. L’arrivée des forces obscures se fait sur Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, à travers la séquence la plus noire du film, mais qui est aussi une des plus belles par son utilisation de multiples textures dans le dessin. Le bien reprend l’ascendant, sur l’Ave Maria de Schubert, dans la seconde partie du court dominé par une brume mystique. Très empreinte de religiosité, avec son décor de cathédrale naturelle, cette scène n’en reste pas moins sublime par ses teintes pastelles, son dessin minimaliste, son long travelling latéral, véritable exploit technique, et offre un somptueux final digne du chef d’œuvre qu’est Fantasia.

 

Pierre angulaire de l’histoire de Disney

Le troisième long-métrage de Walt Disney résume à lui seul l’ambition du producteur. Tout débute avec la volonté de redorer un peu l’image d’un Mickey à bout de course, en le mettant en scène dans une adaptation animée de L’Apprenti sorcier de Paul Dukas. En s’adjoignant les services du chef d’orchestre renommé Leopold Stokowski pour sa direction musicale, le court-métrage prend une ampleur inédite pour le studio. Le budget s’envole rapidement, incitant Disney à suivre l’idée initiée par Stokowski de faire une série de plusieurs court-métrages mettant en images différentes grandes œuvres musicales. Le projet Fantasia est né, et ne cessera de bousculer les folles idées de grandeurs de Disney. D’une ambition visuelle inédite à une innovation dans le traitement du son au cinéma (avec le Fantasound, précurseur du son surround), en passant par des projets avortés de projection en relief ou en odorama, Disney se voit déjà l’inventeur d’un concept artistique inédit, qui irait bien au-delà d’un simple film, sorte de communion de différents arts associée à une volonté didactique. Il envisage même de remanier régulièrement son œuvre, en incluant de nouveaux courts-métrages et en en supprimant d’autres.

Sauf que le producteur sera vite freiné dans ses ambitions. S’il arrive à mener à bien sa production et à livrer le film voulu, le coût de l’exploitation initiale, avec son système de son hors de prix, limite le nombre de salles (dix seront au final équipées du Fantasound) et fait flamber le coût des billets. Le succès n’est pas au rendez-vous, Disney doit se résoudre à sortir son film en circuit traditionnel, avec un son mono et amputé d’une demi-heure sur demande du distributeur. Si le film a la reconnaissance de la profession (il reçoit deux Oscars d’honneur en 1942), la critique est divisée devant cette démocratisation de la musique classique alors encore réservée aux élites, et le public ne suit pas. Tout comme Pinocchio, Fantasia subit aussi les répercussions de la Seconde Guerre Mondiale qui sévit en Europe, où le film ne sortira qu’une fois le conflit terminé.

Après de multiples ressorties pour tenter de minimiser les pertes, Fantasia finira par gagner le cœur du public et des critiques, confirmant son caractère intemporel voulu par Walt Disney. Mais la mésaventure de la production aura cependant sûrement limité les ambitions du studio, qui ne réalisera plus jamais un film de cette ampleur, avec autant d’innovation et de prise de risque. Si Walt Disney a parfois freiné sa liberté pour ne pas se couper d’une partie du public (l’apparition des premiers hommes supprimée du Sacre du Printemps pour ne pas déplaire aux créationnistes, la violence de L’Apprenti sorcier montrée indirectement pour ne pas ternir l’image de Mickey…), il n’en demeure pas moins que Fantasia reste le projet le plus audacieux du studio, qui ne fera ensuite, malgré une qualité technique et artistique presque toujours au rendez-vous, que des œuvres qui répondent à un cahier des charges bien huilé. Peut-être en aurait-il été autrement si le succès de Fantasia avait été au rendez-vous dès sa sortie ?

La fiche

FANTASIA
Réalisé par Ben Sharpsteen, James Algar et d’autres…
Avec Deems Taylor, Leopold Stokowski, Paul J. Smith…
Etats-Unis – Animation, musical
Sortie : 6 novembre 1946
Durée : 125
 min




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