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GUSTAVE KERVERN | Entretien

Cela fait une quinzaine d’années qu’il trace sa route sur les chemins de l’absurde. Avec son compère de Groland Benoît Délépine, Gustave Kervern a signé sept longs métrages; de Aaltra à  Saint Amour. A chaque fois, un condensé d’humour noir et un regard tantôt caustique, tantôt désabusé sur le monde. Quand on le retrouve sur la terrasse du Publicis, qui surplombe les Champs Elysées, on a d’abord l’impression de faire face à un grand gaillard timide. Au cours de l’entretien, il se livre pourtant sans détour. On le comprend accro. A l’humain, à ces oeuvres capables de le faire vibrer et de le surprendre. Les films du Champs Elysées Film Festival possédant ces qualités sont assurés de lui parler droit au coeur. En attendant, le juré de cette édition 2017, n’est pas toujours tendre envers le cinéma américain. Pour le déluge d’éloges, il faut causer séries, Breaking Bad en tête. Rencontre.

Le rôle de juré, ça vous plait ?
G. K. : Je suis toujours heureux de découvrir des films, mais j’ai du mal à juger les autres. C’est la deuxième fois que je fais partie d’un jury et ça ne m’a pas donné envie de recommencer de sitôt. C’est tellement dur de faire un film, même un mauvais, alors j’essaie d’être bienveillant – c’est mon côté macronien – et de toujours trouver quelque chose de positif. Mais bon, quand on voit un mauvais film, il faut le dire.

C’est dur de faire un film, même un mauvais.

Quelles sont vos critères ?
G. K. : Je suis ouvert d’esprit mais je déteste les poncifs. J’aime être surpris, dérouté… Si c’est maladroit, je m’en fous. J’aime la sincérité. Si tous ces critères ne sont pas réunis, je bous sur mon siège. J’ai de plus en plus de mal à voir des films, je suis de plus en plus impatient. Avant, qu’en j’en regardais un que je n’aimais pas trop, je restais quand même jusqu’au bout. Je continue à le faire, car je suis respectueux du travail des autres, mais la perspective de partir avant la fin me vient souvent en tête.
C’est quoi, pour vous, la sincérité au cinéma ?

G. K. : C’est de l’humain à l’état pur entre les acteurs et ce que tu veux raconter. Ce qui m’horripile, c’est le côté snob, pseudo-« Nouvelle vague » mais en raté. Quand je vais au cinéma, je m’attends toujours à être surpris. Récemment, je suis allé voir Get Out alors que je ne suis pas très horreur, mais j’aimais l’idée du scénario. J’ai été déçu, même si j’ai apprécié le début. Là, ce qui m’emballe, c’est les séries. Pendant longtemps, à l’époque des Sopranos, je suis passé complètement à côté. Et puis j’ai regardé Fargo parce que j’aimais bien le film. J’ai enchaîné avec True Detective, que j’ai adoré. Puis Top of The Lake, qui m’a fasciné. J’ai envie de trouver des trucs qui me correspondent.Là, j’adore Breaking Bad, qui est hyper bien jouée et réalisée. Il y a des idées de réalisation de fou furieux, mais qui ne sont pas tape à l’oeil. C’est ça que je trouve bidon dans beaucoup de films : toutes les réalisations se ressemblent. Par exemple, y’a plus un plan fixe, parce qu’il faut que toujours que ça bouge. Parfois, c’est bien, parfois, c’est too much. Dans Breaking Bad, y’a rien de trop. Ça m’a scotché à un degré incroyable. Cette série traite des thèmes importants : la vie, la mort, le bien, le mal, la drogue, l’addiction, les problèmes de couples… Tout y est, même si les épisodes sont inégaux. J’en suis à la troisième saison, j’aurais jamais pensé faire ça de ma vie, regarder trois saisons d’une série. En tout, il y a 62 heures de programme, c’est un truc de malade mental ! Je suis halluciné par Breaking Bad, c’est le truc le plus fort que j’ai vu… À mon niveau, ça me bouleverse. J’ai la chair de poule rien qu’en en parlant.

Vous binge-watchez ?
G. K. : Oui. Ma femme devient folle. Je crois que je suis addict… Dans ma vie en général… Par exemple, là, j’ai mis Tetris sur mon téléphone. Ma femme et mon fils me disaient : « Putain, tu joues à ça ?! ». Je jouais en cachette dans les chiottes. Donc j’ai supprimé le jeu, comme un drogué (en sevrage). Je suis fragile, malheureusement. Tout ça, ce sont des addictions qui à la fois sont nécessaires dans une vie parce qu’il faut avoir des plaisirs, mais je m’aperçois que je tombe vite dans des trucs… Heureusement que j’ai jamais pris de drogues, ni douces, ni dures. J’ai une espèce de sixième sens pour m’en dissuader, parce que sinon j’y serais encore ou je serais peut-être plus là.

J’ai essayé d’aller au cinéma récemment et il n’y avait que des blockbusters américains ou des comédies françaises, sentimentales ou pas…

Ecrire et réaliser une série vous tenterait ?
G. K. : C’est trop dur. On (avec Benoît Delépine) devait faire une série adaptée de Blast. C’est une bande dessinée de Manu Larcenet en quatre volumes, en noir et blanc, les dessins sont hallucinants. On l’avait proposée à Arte, mais c’était trop noir donc je pense qu’ils n’ont pas voulu la faire. C’est un truc que j’ai encore dans la tête, je pense que je ne vais pas l’abandonner. Mais après, on n’a pas la grammaire de ça, c’est hyper-compliqué de faire une série. Nous, dans nos films, on est vraiment dans le b.a.-ba du cinéma, on mise sur la sincérité, l’humanité des personnages, mais en termes de scénario, on est assez basique. Blast serait le seul projet dans lequel je serais capable de m’investir. Les thèmes me sont chers et Manu Larcenet est un mec totalement hallucinant, bipolaire. Chez les gens qui m’intéressent, il y a toujours une fragilité, une faille, ou même un problème psychologique ou physique. J’aime les gens un peu différents.

Quel est le cinéma américain qui vous parle ?
G. K. : J’aime pas le cinéma américain de maintenant. Tous les cinéma du monde, même le coréen, deviennent américains dans la réalisation, les travellings, les déplacements… J’ai essayé d’aller au cinéma récemment et il n’y avait que des blockbusters américains ou des comédies françaises, sentimentales ou pas… Il faudrait s’alarmer vraiment car les films d’art et d’essai ont du souci à se faire. On va aller vers une uniformisation des films, ça va être très dur pour ceux qui essaient de faire des choses différentes. Mais ce qui me fascine toujours dans le cinéma américain, c’est la qualité des acteurs. Même le 122e rôle d’un film est extraordinaire.
Quel est le réalisateur américain que vous admirez le plus ?
G. K. : John Cassavetes. Il en a toujours chié pour faire ses films, ça a toujours été des combats. mais il les faisait avec des copains, ils picolaient. C’était joyeux et ça travaillait beaucoup. Donner sa vie au cinéma, je ne comprends pas. Mais quand c’est Cassavetes qui le dit, je comprends.

Propos recueillis et édités par Fabien Randanne pour Le Bleu du Miroir – 17 juin 2017 à Paris.

Remerciements : Claire & Vanessa (CEFF)



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