chien de la casse

CHIEN DE LA CASSE

Dans un petit village du sud de la France (Le Pouget), Dog et Mirales vivent une amitié conflictuelle. Le duo est bouleversé lors de l’arrivée d’Elsa, une jeune femme dont Dog tombe amoureux. Jaloux, Mirales va tenter, tant bien que mal, de grandir et de prendre son indépendance.

Critique du film 

« Le temps passe vite, c’est la course-poursuite », entend-on dans Chien de la casse, morceau de Delphine Malaussena qui accompagne les crédits du film éponyme. C’est en tout cas l’avis de Mirales, sorte de faux intellectuel raté incapable de quitter Le Pouget, hameau de l’Hérault voisin de Montpellier. Pour (sur)vivre, le jeune homme, détenteur d’un CAP de cuisine, s’est reconverti en dealer de quartier. Il fuit sa mère dont la passivité l’exaspère, et, tel un chien errant, occupe jour et nuit les rues du village. Pour compenser son manque d’influence sur sa mère, Mirales (Raphaël Quenard) déverse sa colère sur son meilleur ami Damien (Anthony Bajon). Le surnom de ce dernier, Dog, illustre bien la relation dominant-dominé des deux hommes. L’un passe ses nerfs sur l’autre et occupe ses journées en dévorant des livres. Le second est amorphe et se laisse porter par la redondance de son quotidien, ce qui a le don d’agacer son frère de cœur.

Deux frères, deux fauves 

Les deux jeunes hommes sont des lions en cage, piégés au sein d’un village trop petit pour eux. Persuadés qu’ils ont quotidiennement besoin l’un de l’autre, ils finissent pas s’asphyxier mutuellement. L’un étouffe l’autre par son charisme difficilement égalable, sa présence marquante forçant le respect. Raphaël Quenard irradie chaque plan et n’offre que son ombre aux autres personnages. Mais le réalisateur évite le piège : il ne mise pas seulement sur son grand comédien et ne lui donne pas toute la lumière, mettant les projecteurs sur Dog à chaque fois que Miralès frôle l’insupportable. Jean-Baptiste Durand installe un faux calme constant. Les rues du Pouget sont désertes, comme celles de Montpeyroux où le cinéaste a grandi. Pourtant, elles semblent remplies d’idées et de messages, invitant les deux protagonistes à s’adapter ou à fuir pour que les conséquences ne soient pas dramatiques.

La scène centrale du long-métrage, dans un restaurant, relance le film pour un deuxième acte encore plus fort. Les personnages se connaissent depuis des années mais n’arrivent pas à se comprendre. Tous ont un langage, un accent, une culture différente, témoignant de leur incapacité à passer outre leurs différends. La toxicité vient du lieu, pas du cœur des hommes. Lorsqu’il est seul ou accompagné de son (adorable) chien Malabar, la solitude de Miralès le rend sympathique. C’est la présence d’autres personnes sur son territoire qui fait de lui l’unique figure paternelle du film. Dès l’arrivée d’Elsa, nouvelle petite amie de Dog, le personnage de Raphaël Quenard devient détestable, strict, autoritaire : le comédien arrive à incarner la haine et la peur de Miralès grâce à une performance qui reste dans la rétine. 

L’étau se referme

Pour matérialiser cette redondance pesante, Jean-Baptiste Durand mise sur une réalisation simple et intimiste. Les plans sont fixes, courts, rapprochés : la caméra du cinéaste capture les non-dits mais reste pressée. Le strict nécessaire est fait, rendant la cristallisation du quotidien des Pougetois encore plus réussie. Seules les virées en voiture et les promenades de Mirales et Malabar dérogent à la règle, presque sacralisées. Le grenoblois d’origine les effectue avec une régularité militaire, désireux de s’offrir des moments d’évasion pour combattre la redondance de son quotidien. « Chaque jour mène à la mort, le dernier y arrive », répète cyniquement Mirales en citant approximativement Montaigne. Jamais, pourtant, le personnage incarné par Raphaël Quenard ne pense à s’offrir une perspective d’avenir réalisable. Ses rêves – celui de trouver la femme parfaite sans compromis du jour au lendemain, celui de rentrer dans un grand restaurant en dehors du Pouget – sont hors d’atteinte, et son village le lui rappelle quotidiennement. Bernard joue chaque jour au tiercé mais ne gagne jamais rien, sa voisine pianiste madame Dufour occupe ses journées en berçant le village de ses mélodies… mais aucun des deux ne semble épanoui. L’avenir de Mirales se trace maintenant, l’étau se referme petit à petit : pour ne pas devenir comme ses voisins, il doit réagir.

Chien de la casse met en exergue la France rurale profonde. Celle qui n’autorise pas à rêver, qui prend au piège ses citoyens. La bande originale de Delphine Malausséna, elle aussi redondante, incarne cette fatalité. Peu importe leurs choix, la mélodie revient et pèse sur les personnages, qui s’éloignent au fil des minutes, dans un village où ils sont forcés de se croiser quotidiennement. Avec Chien de la casse, Jean-Baptiste Durand nous assure qu’il est un cinéaste à suivre, capable de cristalliser la toxicité des hommes sans les juger, de mettre en scène l’ennui sans le rejeter, de maîtriser l’espace pour nous guider. Ce premier long-métrage témoigne de la conscience de son époque et son pays d’un réalisateur qui, déjà, signe une œuvre dont on se souviendra. 


5 septembre 2023 (vidéo) – De Jean-Baptiste Durand, avec Anthony BajonRaphaël QuenardGalatea Bellugi


 

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En bonus : Deux courts métrages, Il venait de Roumaniede Jean-Baptiste Durand (22 min.) et L’Acteurde Raphaël Quenard (25 min.) + Entretien avec le réalisateur.




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