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BLACK BOX DIARIES

Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise suite à son agression sexuelle par un homme puissant, proche du premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité.

Critique du film

Journaliste et réalisatrice, Shiori Ito déclare publiquement le 29 mai 2017 qu’elle a été abusée sexuellement deux ans plus tôt par Noriyuki Yamaguchi, l’ancien directeur de la branche américaine de la chaîne de télévision TBS, et proche de Shinzo Abe, Premier ministre de l’époque (Shinzo Abe). Mais au Japon, encore plus qu’en France, le traitement des plaintes pour viol souffre de sérieux manquements et le sujet entier demeure tabou dans toute la société. Ce qui a une conséquence directe : seulement 4 % des victimes signaleraient leur agression à la police. En plus d’être réduites au silence, les victimes et leur entourage craignent également le jugement populaire et la stigmatisation sociale, la personne agressée devant assumer cette charge psychologique supplémentaire si écrasante que la majorité finit par baisser les bras.

Ce ne fut pas le cas de l’admirable Shiori Ito qui se confie dans un documentaire prodigieusement courageux, racontant les nombreuses années de combat qu’elle a dû mener, presque seule, sa famille s’opposant à sa démarche et à son besoin légitime d’obtenir justice. Même au sein de la police, elle fut mise en garde, parfois de la bouche même de l’un des enquêteurs suivant son dossier. Tout était fait pour la décourager. Pour toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, prendre la parole (elles sont nombreuses à le faire, chez nous, suites aux récentes commissions d’enquête de l’Assemblée Nationale) est souvent synonyme de double-peine, la crainte étant de se voir ostracisées par son milieu professionnel. Un système insidieux qui condamne au silence.

Black box diaries

Mais le risque de compromettre sa carrière professionnelle n’a pas arrêté Shiori Ito qui, malgré des périodes de découragement aisément compréhensibles (comme lorsqu’on est intervenu en hautes sphères pour faire classer discrètement l’affaire), a trouvé la force incommensurable de se relever et de continuer à se battre pour faire éclater la vérité afin que son témoignage, très documenté, puisse enfin faire bouger les choses. Black box diaries ne relate ainsi pas un désir de « se venger » ou de « monter une cabale médiatique » pour « détruire », comme bien des agresseurs et complices osent répliquer pour tenter de disqualifier la prise de parole des victimes (n’est-ce pas Christophe Ruggia ?), mais plutôt une démarche de témoignage visant à faire avancer la justice dans la bonne direction.

Récemment nommé aux Oscars dans la catégorie documentaire, Black box diaries mérite toute la considération et l’attention au-delà de ces cérémonies de gala, parce qu’il montre tout ce qui peut se dresser en travers de la route d’une victime de violences sexuelles, déjouant les commentaires (sexistes) autour de la prises de parole des femmes. Parce qu’aucune victime n’a quelque chose à gagner. Elle a déjà perdu, elle est déjà détruite et portera en elle les stigmates de ce traumatisme pour le restant de ses jours. La seule chose qui lui reste alors, non pas à « gagner » mais bien à obtenir, c’est que la justice fasse correctement son travail, pour que les plaignant-e-s obtiennent la reconnaissance des crimes subits et que les prédateurs sexuels soient condamnés et mis hors d’état de nuire. À condition, aussi, qu’elle bénéficie des moyens nécessaires pour se faire.

Déposer plainte pour viol, encore plus lorsque l’affaire est médiatisée, c’est aussi prendre le risque d’être décriée, diffamée et insultée, voire harcelée. Ce fut le cas d’Adèle Haenel chez nous, comme ce fut le cas de Shiori Ito au Japon. Black box diaries rend hommage au courage des victimes qui se battent pour faire changer le monde, à toutes ces femmes qui n’ont d’autres choix que de se soutenir et faire front ensemble, face à une justice qui, trop souvent, les abandonne.

Bande-annonce

12 mars 2025 – Documentaire de Shiori Ito


Grand Prix Fipadoc 2025