still_being-bo-widerberg

BEING BO WIDERBERG

Avec Being Bo Widerberg, présenté en première mondiale à Cannes Classics avant sa sortie en salle le 2 juillet 2025, Jon Asp et Mattias Nohrborg signent un documentaire passionné et précieux consacré à l’un des plus grands cinéastes suédois du XXe siècle, longtemps resté dans l’ombre écrasante d’Ingmar Bergman.

C’est un film sur une absence. Celle d’un nom, d’un style, d’un esprit, éclipsé, ignoré, parfois même effacé. Being Bo Widerberg est à la fois un travail de mémoire et un manifeste critique : un portrait documentaire aussi vif que fragmentaire, à l’image de celui qu’il cherche à faire revivre. Car Bo Widerberg n’est pas un cinéaste mineur, mais bien l’un des rares à avoir contesté, frontalement, la domination artistique d’Ingmar Bergman dans la Suède des années 60 à 90. Lui venait de Malmö, était issu de la classe ouvrière, admirait Truffaut et Cassavetes, et appelait de ses vœux un cinéma plus vivant, plus social, plus incarné.

Le projet de Jon Asp, critique de cinéma, et Mattias Nohrborg, producteur et distributeur, s’est construit à rebours du temps : à partir des lieux que Widerberg a habités, des archives qu’il a laissées, et surtout des voix qui l’ont connu. Le documentaire devient alors un véritable périple sensible, de Malmö à Båstad, de Stockholm à Paris, où les réalisateurs recueillent les récits de proches, de collaborateurs et d’admirateurs. L’un des premiers témoignages est celui du cinéaste Jan Troell, directeur photo des débuts de Widerberg, qui confie encore rêver de son ancien ami disparu.

bo widerberg film

Filmer pour vivre intensément

Si Being Bo Widerberg adopte une forme volontairement libre — alternant archives, extraits de films, confidences et souvenirs — c’est pour mieux faire ressentir le tempérament insaisissable de son sujet. À travers les entretiens avec ses enfants, ses compagnes, ses comédien·ne·s et ses collègues, le film dessine une figure complexe : exaltée, exigeante, souvent difficile, mais toujours habitée par une idée du cinéma comme prolongement de la vie.

La démarche documentaire met en évidence la ligne directrice de la filmographie de Widerberg : raconter des existences ordinaires avec une intensité rare, en conjuguant réalisme social et audace formelle. Des œuvres comme Le Quartier du corbeau, Elvira Madigan ou Ådalen 31 (Grand Prix à Cannes en 1969) portent cette ambition d’un cinéma à hauteur d’humain, où la beauté naît du quotidien, où la politique passe par les gestes, mais induit aussi de nombreux sacrifices.

Elvira Madigan

Rendre justice à une œuvre éclipsée

L’un des mérites les plus évidents du film est de repositionner Widerberg dans l’histoire du cinéma européen, en le sortant du face-à-face Bergmanien auquel il fut trop longtemps réduit. C’est ce que soulignent les nombreuses figures qui prennent la parole dans Being Bo Widerberg. Parmi elles, Thommy Berggren, acteur fétiche du cinéaste, qui rejeta Bergman pour s’engager pleinement dans l’univers widerbergien ; Pia Degermark, inoubliable dans Elvira Madigan (prix d’interprétation à Cannes) ; Stellan Skarsgård, Roy Andersson, Lars von Trier ou encore Ruben Östlund qui, comme lui, n’a pas « eu peur de la controverse » et souligne l’importance de son oeuvre dans la remise en mouvement d’un cinéma suédois souvent moribond.

Le film donne également la parole à deux cinéastes français, Olivier Assayas et Mia Hansen-Løve, pour qui Widerberg est un repère, un artiste sensible à la classe, à l’éducation, à la transmission, et dont les personnages sont souvent des alter ego en quête de sens, de culture, ou simplement de beauté. Cette relecture critique est d’autant plus bienvenue qu’elle résonnera avec la rétrospective de l’œuvre de Widerberg en France, orchestrée par Malavida depuis le 11 juin.

En redonnant la parole à ses films, à ses images et à celles et ceux qui l’ont aimé, Being Bo Widerberg ne signe pas seulement une réhabilitation, il rend vivante, vibrante, la mémoire d’un cinéma qui refusait le mensonge, et croyait encore que filmer était un acte de confiance envers le réel.


2 juillet 2025De Jon Asp et Mattias Nohrborg