AU REVOIR LES ENFANTS
Critique du film
15 ans après avoir interrogé le passé collaborationniste français dans Lacombe Lucien, Louis Malle réalisait en 1987 un long-métrage ayant une nouvelle fois pour toile de fond l’occupation allemande. Projet on ne peut plus personnel pour son réalisateur, Au revoir les enfants trouve son origine dans un souvenir de jeunesse de ce dernier, particulièrement marquant. Pensionnaire d’un collège près de Fontainebleau, Louis Malle a vu trois de ses camarades de classe se faire arrêter par la Gestapo, un matin de janvier 1944. C’est le point de départ (ou plutôt d’arrivée) d’Au revoir les enfants, dont le titre évoque inévitablement la perte de l’innocence, en plus de citer la réplique amère qui conclut le film.
Issu d’une famille bourgeoise parisienne, Julien entame sa rentrée scolaire au sein d’un pensionnat religieux tenu par des prêtres. Il y retrouve ses amis, ainsi que trois nouveaux élèves, dont Jean Bonnet, à qui l’on attribue le lit voisin de Julien dans le dortoir commun. Intrigué, l’adolescent commence à observer son nouveau camarade de près, ne tardant pas à soupçonner que Jean a un secret…
L’austérité de la mise en scène frappe la rétine dès les premières scènes. Absence de musique, cadre resserré sur les personnages, photographie volontairement terne et désaturée ; le désespoir semble avoir contaminé chaque photogramme de la pellicule. Louis Malle a souhaité une reconstitution la plus fidèle à ses souvenirs d’enfance. Des souvenirs que l’on imagine forcément douloureux au vu du sujet traité. Les choix esthétiques vont alors naturellement se mettre au diapason des tourments qui hantent le jeune héros dont le film adopte le point de vue. Contrairement aux autres élèves, Julien est un adolescent peu intéressé par son avenir (en a-t-il seulement un ?) et obsédé par l’idée de mort. Sa rencontre avec Jean et la révélation de ce que ce dernier cache amèneront le personnage à interroger les ressorts moraux de ceux qui l’entourent.
Ce point de vue ‘’à hauteur d’enfant’’ est sans doute ce qui démarque Au revoir les enfants de toutes les productions qui ont traité la société française de 1940-44 avant lui. L’horreur de la guerre est d’ailleurs quasiment reléguée au hors champs, s’incarnant plutôt dans le quotidien des protagonistes : le froid constant qui règne dans l’internat, les sirènes d’alertes aux bombardements qui obligent élèves et enseignants à faire classe sous terre… Présentés comme des routines, ces éléments permettent à la fois d’ancrer totalement le récit dans son époque et de lui conférer une terrible authenticité très concrète, surtout en regard des enjeux terribles qui entourent la présence de Jean au sein de ce collège.
Ne prenant jamais à la légère la complexité de l’époque qu’il dépeint à l’écran, Louis Malle se refuse par ailleurs à toute simplification dans le traitement de ses personnages. Une ligne très fine sépare les actes de courage de l’opportunisme lâche et le réalisateur montre avec intelligence les raisons qui peuvent pousser un personnage à tomber du mauvais côté. À ce titre, le choix d’un personnage (décrit par Louis Malle comme un lointain cousin de Lucien Lacombe) dans la dernière partie – dont les conséquences vont faire basculer le récit dans l’horreur – demeure particulièrement glaçant lorsque les raisons de cette décision viennent non seulement interroger la morale de Julien, mais également celles du spectateur…
Auréolé d’un César du Meilleur Film, du Lion d’Or à Venise et de plus de trois millions d’entrées en salle à sa sortie, Au revoir les enfants a su raisonner de belle manière auprès de ses contemporains qui se voyaient confrontés aux heures les moins glorieuses de leur histoire. 35 ans après sa sortie, force est de constater que le film demeure un témoignage fort et une leçon sur la ‘’banalité du mal’’ qu’il n’est jamais inutile de rappeler en ces temps troublés…