CHARLÈNE FAVIER ET NOÉE ABITA | Interview
Slalom fait partie de ces films qui furent empêchés à cause de la trop longue pause imposée par les pouvoirs publics pour raisons sanitaires exceptionnelles. Ce très beau film centré autour d’une adolescente intégrant une section de sport études en ski alpin, va enfin pouvoir trouver son public au delà des festivals où il a pu circuler depuis le deuxième semestre de l’année passée, à partir du 19 mai 2021.
Charlène Favier, pour qui c’est le premier long-métrage, et Noée Abita, remarquée dans Ava de Léa Mysius, ou dans Le Grand Bain de Gilles Lellouche, nous ont fait l’honneur d’échanger quelques mots pour revenir sur cette expérience singulière que fut ce tournage en commun.
Les lieux du tournage sont très personnels pour vous, avec un lien très fort à l’enfance. Comment est-ce de traiter d’un sujet aussi fort dans un lieu où l’on a soi même vécu et évolué ? Comment gère-t-on son tournage quand il y a autant d’affect en jeu ?
Charlène Favier : Ce film est né de ce lieu où j’ai grandi, de l’amour que j’ai pour ces montagnes. J’avais vraiment envie de filmer ça, je trouve que c’est extrêmement ciné-génique et trop peu utilisé au cinéma. Il y avait plein de choses que j’avais envie de faire là-bas. C’est sûr qu’en effet c’est compliqué, mais en même temps c’est une fiction, on peut raconter n’importe quelle histoire dans n’importe quel décor. Après l’important c’est de bien la raconter, avec le cœur et les tripes, c’est ça qui est le plus important.
Quand j’ai écrit ce scénario en 2015, je n’ai pas vraiment pris conscience de ce que j’étais en train d’écrire. Ce n’était pas la réponse épidermique à quelque chose de précis, parce qu’à cette date il n’y avait pas encore eu toutes ces histoires qui sont sorties par la suite. Je pense qu’il y avait des ingrédients qui me sont tombés dessus, qui étaient en moi et qui résonnaient très fort. Il y a cette montagne, le ski, cette vitesse que j’avais envie de filmer, le vertige, la relation entraineur entrainée que j’ai connu et je savais qu’il y avait là un territoire de dramaturgie qui était hyper intéressant. Finalement, j’ai un peu mis tout ça dans un shaker et le scénario est un peu né de manière complètement inconsciente.
Au final, je ne me suis pas vraiment posé de questions, un peu à l’image de mon arrivée dans le cinéma. Je ne viens pas du tout de ce milieu là. D’un seul coup, je me suis mise à faire du cinéma, mais sans me demander s’il fallait que je fasse une école. Je n’ai rien fait de ce genre là, j’ai fait tout de suite du cinéma.
Le personnage que joue Noée est très esseulé, sa solitude brille particulièrement dans le film. Elle repousse un petit peu tout le monde, et notamment son amie la plus proche dans le ski, et sa mère également. Cette solitude était quelque chose qui était au cœur de votre écriture ou est-ce que cela s’est imposé par la suite ?
CF : C’était très important pour moi, en effet, parce que finalement quand on vit ça à quinze ans, cette expérience d’intégrer d’un seul coup un cursus de haut niveau, on est seul. Seul avec soi-même et avec l’entraîneur, et aussi avec la pression qu’on s’impose et qu’on nous impose. Il faut comprendre que souvent personne ne comprend ce que l’on est en train de vivre. Alors là, c’est vrai que j’ai choisi d’éloigner la mère. Il y a beaucoup d’enfants qui vivent seuls là haut en montagne, parce que les parents travaillent énormément. On fonctionne sur le rythme des saisons, c’est tous les jours, sans week-end, souvent ce sont des commerçants et ils ont très peu de temps et les enfants sont un peu livrés à eux-mêmes.
J’ai connu ça, j’ai eu une enfance par moment où j’étais un peu seule, et j’avais envie de mettre en exergue la relation avec le coach. J’aurais pu choisir un autre cas de figure qui était les parents qui sont très présents, tout le temps, qui poussent leurs gamins, qui vivent à travers eux ce désir de réussite. Mais ce n’est pas ça que j’avais envie de raconter, mais comment à quinze ans, d’un seul coup, on vit dans un monde seul, et on doit se débrouiller seul avec les armes qu’on a ou qu’on a pas. Et réaliser ce qui se passe à ce moment là. La manière dont Lyz est seule, elle regarde la montagne, qui reflète un peu ce qu’il y a en elle, et ce dialogue il est en elle tout le temps.
En seulement trois ans de carrière, depuis Ava en 2017, vous avez déjà eu deux relation fortes avec des réalisatrices, que ce soit avec Léa Mysius ou avec Charlène, est ce que le fait d’être regardée par des femmes est important pour vous, ou bien tout est affaire de rencontres ?
Noée Abita : Pas du tout, je ne pose pas du tout la question, que ce soit une femme, un homme, quel regard est posé sur moi. C’est intéressant parce que tout est arrivé par hasard, que j’ai été dirigée d’abord par des femmes. Autant Léa que Charlène, on s’est vraiment un peu rencontrées par hasard. J’ai fait un autre film qui s’appelle Genèse, réalisé par Philippe Lesage, un homme, où il y a beaucoup de présences et aussi de corps. Et je ne pense pas que ce soit différent que ce soit un homme ou une femme derrière la caméra car chaque personne est différente quelque soit son genre. On regarde en fonction de notre vécu, de ce que l’on a en nous, de ce qui nous touche et de ce que l’on rêve. Et pour moi, ce qui est important c’est de travailler dans le respect et la bienveillance.
Le point commun entre tous ces rôles que vous avez interprétés, c’est que les personnages sont plus jeunes que votre véritable âge. Ici, Lyz a quinze ans, vous en avez 21, est ce que cet état de fait peut être un problème pour vous à l’avenir dans vos choix de films ?
NA : C’est vrai que j’en ai conscience, et que déjà ça tient au fait que je fais très jeune même pour mon âge, et que ce sont les rôles qu’on me propose. Mais oui, j’en ai conscience, bien sûr. Pour Ava ou pour ce film, il y a une approche où je me suis dis : « attention cette enfant à quinze ans, comment est-ce qu’on réfléchit et comment est-ce qu’on regarde le monde et les adultes quand on a cet âge là ? » Mais je n’ai pas du tout puisé dans mes souvenirs, j’ai préféré inventer complètement quelque chose en fonction de la psyché du personnage. En tout cas de ce que je projète en elle.
Le directeur de la photographie, Yann Maritaud, était également en poste sur le film Mignonnes de Maïmouna Doucouré, et fait un travail remarquable dans Slalom. Quelle a été votre relation de travail avec lui, en sachant que la collaboration entre un réalisateur et un directeur de la photographie peut être parfois un peu complexe ?
CF : Yann est un ami très proche depuis plus de dix ans. Nous sommes clairement les meilleurs amis de façon réciproque, on a une relation très proche depuis très longtemps. On s’est rencontrés à 25 ans, on faisait des court-métrages ensemble, on commençait tous les deux. On a fait quelque chose comme cinq ou six courts tous les deux. On a même plus besoin de se parler.
Dès que j’ai commencé à écrire les premières lignes de Slalom il était là, il a lu toutes les versions du scénario. Près de quatre ans avant de faire le film il en a entendu parler. Ensemble, dans tous ces films, on a essayé plein de choses. Moi j’adore la technique, je fais tous mes plans de sols, tous mes découpages moi-même. Et Yann intervient très tôt dans cette démarche, je suis très active dans mon découpage où je travaille chaque plan comme un tableau, et Yann a un rôle important dans tout ça. On parle de tout, on travaille le scénario ensemble, la direction artistique, le décor, un travail avec la cheffe décoratrice avec qui on parle à deux vraiment, pareil avec la costumière. On a essayé plein de choses très différentes sur plein de court-métrages et on adore être très radicaux et on s’était entendus presque comme un dogme d’être tout le temps du point de vue de Lyz, quitte à prendre des gros risques.
Le rouge utilisé, c’est aussi un risque énorme qu’on a pris dans la scène de rédemption quand il la frappe, il n’y a que la lumière du soleil qui éclaire les comédiens. On a mis des filtres rouges sur les fenêtres sans que ce soit fait en post-production, on s’est dit « là on balance ça ». On adore prendre ces risques, aller à chaque fois plus loin, et on hâte de faire un nouveau film ensemble. On sait ce qu’on ne va plus faire, ce qu’on va essayer de faire, c’est un vrai travail de binôme.
Yann au delà de l’image, défend énormément le film, notamment quand on reçu le prix Magelis à Angoulême. C’est plus qu’un chef-opérateur, il porte le film sur ses épaules avec moi des premières lignes du scénario jusqu’à la fin de la post-production. Un vrai binôme artistique.
Propos recueillis et édités par Florent Boutet pour Le Bleu du Miroir au festival de Deauville