WAVES
La vie de deux jeunes couples alors qu’ils mûrissent, apprennent à se connaitre, tombent amoureux…
Critique du film
Dans la vie, il y a ceux qui restent… et ceux qui partent, qui disparaissent, s’évaporent, parfois dans le désespoir, le mauvais concours de circonstances, un malheureux détour qui marque un avant et un après dans le déroulement d’une vie. Parfois, l’expérience peut se renouveler, s’allonger et s’étirer à outrance, jusqu’à ce que l’extraordinaire prenne le dessus sur cette passivité du quotidien. Tout d’un coup, l’espoir renaît de ses cendres.
Depuis 2017 (la sortie d’un film qui tenait plus de l’angoisse, « de ce qui reste caché », plutôt que d’opter pour le frontal, le bien-nommé It Comes At Night), le jeune réalisateur (et scénariste !) Trey Edward Shults s’était vraisemblablement terré, mûrissant, aux côtés des petits malins de la boîte de Pandore A24, son projet le plus ambitieux à ce jour. Aux États-Unis, persiste des sujets de société symboles de cette époque : la famille, la succession et bien sûr la réussite sociale. Avec Waves, Shults cite le travail de ces prédécesseurs ; on pense à Barry Jenkins avec Moonlight, Si Beale Street pouvait parler, mais aussi au travail de James Baldwin et, dans de moindres mesures, au premier film pétillant de Jonah Hill, 90’s, qui racontait avec brio cette vignette de vie qu’est le passage vers l’âge adulte – la confrontation ultime avec le monde extérieur.
Au sens propre du terme, Waves est un film – que dire, une expérience – qui s’appréhende comme une vague. Il y a la longue préparation au choc, le dangereux creux qui menace de la noyade, puis l’écume des jours (sans pour autant trop référencer Vian), enfin le début d’un nouveau cycle. Mais une nouvelle vague n’est jamais loin… Il suffit juste de savoir comment l’embrasser.
Prendre son envol
Ce tourbillon d’émotions est avant tout porté par un casting hors pair, composé des jeunes et talentueux Taylor Russell McKenzie (Emily) et Kelvin Harrison Jr. (Tyler). La petite sœur et le grand frère, entourés de parents adoptifs, les touchants Ronald et Catherine (respectivement interprétés tout en subtilité par Sterling K. Brown et Renée Elise Goldsberry). Mais lorsque Tyler, qui s’évertue à ressembler à celui qui l’a élevé, arpente le chemin du non-retour, Waves entame, avec surprise, sa seconde partie du point de vue d’Emily, volontairement laissée jusque-là en second plan. Une jeune adolescente qui ne veut que prendre son envol, s’émanciper du passé.
Au-delà de décortiquer le cercle familial et ses aléas, Shults fourmille d’idées de mise en scène qui ne manquent pas de sensibilité. L’histoire qu’il raconte ici va droit au cœur. Tout, dans Waves, incite à nous marquer la rétine et à nous crever, un peu plus, la poitrine. Il y a d’abord la magnifique photographie signée Drew Daniels, chaude et exotique, qui transpire et capte la moindre poussière, privilégiant les lumières naturelles du sud de la Floride.
Aussi, l’image vibre, comme rarement, grâce à une bande-originale inoubliable : mentionnons dans un premier temps l’admirable travail du duo formé par Atticus Ross et Trent Reznor, qui, une fois de plus, parvient à retranscrire le propos en composant un ensemble d’instrumentaux à la fois inquiétants et envoûtants. Ils sont entourés d’un large catalogue de musiques pré-existantes, toutes triées sur le volet par le cinéaste pour rendre les scènes toujours plus cinématographies, presque « clipesques » : des remixes de Tame Impala à « FloriDada » d’Animal Collective, en passant par Radiohead, Frank Ocean, H.E.R, Kendrick Lamar, Kanye West, A$AP Rocky…
Shults filme ses personnages entre extase et dépravation. Ils dansent, vivent des moments de joie, de tristesse, d’amour et de peine. Le spectateur est pris dans cette fresque tragique et complexe, à s’en donner le tournis. Waves est sans pareille, un réel tour de force, porté par un mélange hallucinant entre le son et l’image (le réalisateur assure aussi en tant que chef monteur). Et de toute ces qualités, on retient là que c’est aussi un film qui tient bien de ses créateurs, A24, qui manigancent depuis quelques années un line-up de très haute tenue. Une très belle ouverture pour cette décennie et assurément un des films de l’année, qu’il sera difficile d’oublier. L’Océan n’est jamais très loin…
Bande-annonce
31 janvier 2020 – De Trey Edward Shults, avec Lucas Hedges, Taylor Russell, Sterling K. Brown