still_vicenta-b

VICENTA B.

La Havane, de nos jours. Dans la capitale cubaine, les rues se vident en raison de l’émigration massive des jeunes diplômés. Le fils de Vicenta Bravo, une « santera » ayant le don de prédire l’avenir, n’échappe pas à la règle et décide de partir vers de nouveaux horizons en allant s’installer à l’étranger. Un départ qui bouleverse considérablement Vicenta.

Critique du film

Troisième long métrage de Carlos Lechuga, Vicenta B est le deuxième distribué en France après Melaza en 2014. Le film dresse, tout en délicatesse, le double portrait d’une femme saisie dans un moment de doute et celui d’un pays en proie à un exode massif de sa jeunesse.

Une femme cubaine

Vicenta, Centa pour les intimes, est cartomancienne à domicile. Elle est aussi une mère attentive au bonheur de son grand fils avec qui elle partage une belle complicité et un appartement cocon. Il l’assiste parfois lors de ses consultations que Carlos Lechuga filme comme des rituels. La mise en scène part d’un détail (les mains, le regard) pour élargir progressivement le cadre. Un verre d’eau, un cigare, une bougie et un flacon d’eau de Cologne sont les seuls éléments nécessaires, en dehors de cartes, au bon déroulement d’une séance. Le reste est une affaire de concentration et de croyance. Vicenta est à sa place, quelque part en équilibre entre le monde des morts et celui des vivants, en charge de questionner les uns pour éclairer les autres. Un jour, son regard se trouble. « Que voyez-vous ? » demande la cliente avec une pointe d’inquiétude. Le visage de Vicenta devient légèrement flou. Un jeu sur le point d’une grande simplicité, symptomatique d’une grammaire cinématographique qui prend la mesure de son sujet, dévoile sans souligner, suggère sans expliquer. Comme de nombreux jeunes cubains, Carlitos est parti étudier aux États-Unis. Cette absence semble plonger Vicenta dans une profonde crise existentielle.

Porté par une photographie somptueuse, le film sera sans doute trop monocorde pour certains. La faute à un faux rythme qui, pourtant, entre passages musicaux et plans d’observation d’un quotidien en suspension, cherche davantage à saisir l’affliction qu’à répandre l’ennui.

vicenta b

Second souffle

Le passage à vide de Vicenta se transforme en cauchemar lorsqu’elle apprend que Monica, jeune fille qui est venue la consulter en désespoir de cause et qu’elle n’a pas su, ni éconduire, ni renseigner, se trouve entre la vie et la mort, après s’être immolée par le feu. Le film se resserre alors autour de figures féminines auxquelles Vicenta semble s’accrocher pour ne pas sombrer. Il y a Nora, la mère de Monica, qu’il faut apprivoiser pour pouvoir approcher et comprendre le calvaire de sa fille. Il y a également sa tante, personnage clé à qui tout peut être confié, y compris l’indicible. Vicenta se soumet à une cérémonie de la fertilité. Ointe de miel, Vicenta fait tourner sur son ventre un potimarron. Magnifique scène où le recours aux recettes ancestrales illustre aussi le passé migratoire de cette population d’origine africaine, héritière des deuils, des oppressions et des violences.

Cette matière grave que malaxe le film, dans un mouvement propre à la synecdoque pour lier ensemble les destins de Vicenta et du pays tout entier, diffuse un paradoxal sentiment d’apaisement. Le mérite en revient à une forme d’introspection qui stimule la lente compréhension des choses, en témoigne ce plan d’une tortue sur un carrelage. D’autres images, sidérantes de beauté, frappent l’imaginaire : un cercueil amarré sur une barque, le lit de souffrance de Monica, surmonté d’une gaze. L’atmosphère cotonneuse est parfois à la limite du dolorisme, mais surtout hypnotique. Elle saisit, nous semble t-il, avec justesse l’apathie d’un pays privé de ses forces vives en même temps que la dépression que traverse Vicenta.

Vicenta B pourrait être intitulé Paradis perdu tant il dresse de Cuba un portrait blessé. Les deux précédents fils de Carlos Lechuga y ont été censurés. Pas sûr que le sort de celui-ci soit différent. Ce serait dommage, les Cubains manqueraient surtout le très beau portrait d’une femme qui, au milieu de la quarantaine cherche, dans les racines du ciel, un second souffle.

Bande-annonce

11 octobre 2023 – De Carlos Lechuga, avec Linnett Hernandez Valdes




%d blogueurs aiment cette page :