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ONLY THE RIVER FLOWS

En Chine, dans les années 1990, trois meurtres sont commis dans la petite ville de Banpo. Ma Zhe, le chef de la police criminelle, est chargé d’élucider l’affaire. Un sac à main abandonné au bord de la rivière et des témoignages de passants désignent plusieurs suspects. Alors que l’affaire piétine, l’inspecteur Ma est confronté à la noirceur de l’âme humaine et s’enfonce dans le doute…

Critique du film

Âgé de seulement 33 ans, le prolifique Wei Shujun est déjà un auteur qui compte dans le paysage cinématographique chinois contemporain. Après un court métrage introspectif (On the border, mention spéciale pour la Palme d’Or au Festival de Cannes 2018), et un premier long, Courir au gré du vent, qui suivait le récit d’une jeunesse en quête de sens, il enchaîne avec Ripples of life, une comédie d’humour noir dont l’intrigue se situait autour du tournage d’un film, cet adepte des changements de registres entre brillamment avec Only the river flows dans le genre criminel. Adaptée d’une nouvelle jugée avant-gardiste de Yu Hua qui relate une série de meurtres nimbée de mystère et de subversion, cette histoire devient, face caméra, une enquête policière qui joue avec les références pour créer une œuvre unique.

En plus des canons typiques du cinéma policier asiatique (la pluie interminable, le brouillard de pollution, la morosité ambiante, la hiérarchie incompétente et dépassée), Wei confère à son adaptation des accents de film noir particulièrement bienvenus. Le policier Ma Zhe (formidablement joué par Yilong Zhu) reprend la figure du détective désabusé mais obsessionnel et méthodique, guidé par le seul objectif de retrouver le criminel au milieu de paysages opaques et lugubres dont la sobriété confine à la tristesse. L’incertitude et l’ambiguïté qui habitent le scénario apportent une profondeur, une humanité qui en font un cas à part dans le polar. À la différence des modèles du genre, ici l’enjeu n’est pas uniquement la résolution de l’enquête, il s’agit également de mettre en lumière une réflexion existentielle autour de la possibilité ou non de l’individualisme.


Peut-on s’extraire du poids écrasant du collectif dans une société absurde ? Et pour mieux approfondir cette question, Wei a opté pour la différence de points de vue, notamment lors d’une séquence techniquement impressionnante où la caméra subjective finit sa course en glissant d’un ponton, plongeant alors le spectateur dans la tête du tueur autant que dans les eaux glacées de la rivière.

Avec une mise en scène très sobre et dénuée de tout artifice, Wei Shujun livre un film sec qui en dit long sur la noirceur de l’âme humaine, et pose un regard sans nostalgie sur la décennie qui l’a vue naître et dont l’exploration par le cinéma l’aide à comprendre la situation actuelle de son pays. À l’image, la photo sobre à la texture grainée a été obtenue grâce à un beau 16mm que le réalisateur a tenu à utiliser au détriment d’un « effet pellicule », travaillé en numérique, avec le souci d’offrir une plongée réaliste dans l’état d’esprit de l’époque.

Après Dong Yue (Une pluie sans fin) et Diao Yinan (Black Coal, Le Lac aux oies sauvages), Wei Shujun s’inscrit dans une cette lignée de cinéastes chinois qui, loin des actioners « made in Hong Kong », explorent la culture de leur pays à travers un polar davantage incarné, fataliste et pessimiste, mais non moins passionnant.

Bande-annonce

10 juillet 2024De Wei Shujun, avec Yilong Zhu, Zeng Meihuizi et Tianlai Hou.




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