BILAN | Les meilleurs films d’avril 2024
CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR DE LE BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS D’AVRIL 2024.
LE CHOIX DE FLORENT BOUTET
Succéder aux deux magnifiques Drive my Car et Contes du hasard et autres fantaisies, tout en proposant un film qui tente de nouvelles choses était un défi de taille pour Ryusuke Hamaguchi. Le mal n’existe pas y parvient avec talent, grâce notamment à son personnage principal, taiseux, ses mots rares étant cinglants et comme des réverbérations au sein d’un paysage troublé par le passage de citadins porteurs d’un projet immobilier qui dérange l’éco-système. L’auteur japonais continue dans sa veine habituelle, les longs dialogues gorgés de sens, mais il instille une autre dimension, plus sensitive qui prolonge son geste au-delà des évidences du langage. À 45 ans, Hamaguchi se pose comme un auteur majeur du cinéma contemporain, avec une oeuvre qui s’enrichit de films en films.
LE CHOIX DE FRANÇOIS-XAVIER THUAUD
Sur un coup de tête, Shlomi, conscrit de Tsahal, fausse compagnie à son unité. C’est précisément lorsqu’il « se défroque » que commence pour lui un parcours de combattant de la liberté. Hormis une parenthèse dans l’appartement de sa grand-mère, le déserteur court, grimpe, pédale et saute pendant 90 minutes que Dani Rosenberg mène tambour battant au rythme des pulsations d’un jazz syncopé. La trajectoire du jeune homme, poulet sans tête, est à la fois irrationnelle et allégorique d’une jeunesse sans autre horizon que la haine. Shlomi ne jette pas sa montre aux portes du désert, comme Peter Fonda, mais son casque de troufion. Avec ce geste symbolique, il est permis de voir Le Déserteur comme une relecture romantique et moyen-orientale d’Easy Rider. La monture est plus légère, le geste tout aussi naïf, cependant que le film percute l’actualité de manière sidérante.
LE CHOIX DE MARIE SERALE
Au cœur d’un mois d’avril ponctué de sorties réjouissantes, dont Quitter la nuit, le puissant premier film de Delphine Girard, Madame Hofmann, un très beau portrait signé Sébastien Lifshitz ou encore Le Mal n’existe pas, la dernière merveille de Ryusuke Hamaguchi, une pépite tout droit venue des États-Unis a brillé par sa générosité et son inventivité. Présenté en mai 2023 à la Quinzaine des Cinéastes, Riddle of Fire est le premier long-métrage de Weston Razooli. On y suit un trio d’enfants intrépides qui rêvent d’essayer leur nouvelle console de jeux. Pour ce faire, ils devront relever de multiples défis, dans un monde où la magie côtoie le danger. Dosant la nostalgie, Weston Razooli convoque des inspirations multiples de récits d’aventures (on pense notamment aux Goonies et au Club des cinq), les souvenirs d’une enfance rurale et l’amour du jeu à tout âge. On savoure chaque instant de ce récit ludique et faussement naïf qui nous plonge dans un univers féerique, tout en questionnant notre rapport à l’imaginaire.
Le choix d’Eric Fontaine
Film étrange et inquiétant, minimaliste et original, Enys men joue la carte du Folk Horror avec brio, porté par une bande son très travaillée et l’ambiguïté. Cette femme qui travaille sur une île des Cornouailles à observer les plantes est-elle en proie à ses démons intérieurs ou à d’authentiques phénomènes surnaturels ? Le réalisateur Mark Jenkin déploie une histoire angoissante à partir de faits quotidiens et répétitifs et renoue avec un certain cinéma fantastique des années 1970 et 1980. Très belle interprétation de Mary Woodvine.
Le choix de Matthieu Touvet
Tiré d’un épisode de la série de podcast Les Pieds sur terre qui a particulièrement résonné avec sa propre histoire, le documentaire de sa productrice Sonia Kronound mêle la fiction et le réel pour dessiner le profil d’un menteur en série. La tension monte à mesure qu’on se rapproche de cet homme à la personnalité déroutante, sans jamais savoir ce que nous réserve la suite. Le film déroule son enquête minutieusement, déjouant sans cesse les attentes des spectateurs qui découvrent, incrédules, cette histoire ahurissante, absurde et tristement un peu banale, à travers des scènes aussi comiques que dramatiques.
Le choix de Grégory Perez
Si le film d’Alex Garland n’est pas le brûlot politique que certains ont voulu nous vendre, il reste néanmoins une proposition suffisamment audacieuse et choquante pour imprimer durablement l’esprit des spectateurs. La force et l’intérêt de Civil War résident dans le fait que son scénario dystopique nous paraisse suffisamment familier pour que, malheureusement, chacun puissent sans mal l’imaginer comme la suite à venir de notre histoire. Et nous voilà alors embarqués comme des photographes de guerre, impuissants observateurs, à témoigner de notre propre chute. Glaçant.
Le choix d’Emilien Peillon
C’est moins sur ses habituelles discussions fleuves que sur le silence que Ryusuke Hamaguchi s’attarde dans ce nouveau film, qui évoque le quotidien d’une petite communauté rurale. Le rapport au temps – ici, le temps pour réaliser certaines besognes quotidiennes, mais aussi le temps social qu’on accorde aux autres – se retrouve perturbé par un projet d’aménagement touristique porté par une société jeune et urbaine, évidemment en rupture avec la réalité du terrain. Le réalisateur évite l’écueil du « film à thèse » puisque le récit s’interrompt brusquement, avant que les enjeux de construction ne soient véritablement lancés. L’impression, facilement déroutante, d’avoir vu un demi-film (ou en tout cas, une demie-histoire) incite au décentrement, à repenser quel est le sujet principal de l’œuvre et revenir sur les petites choses : l’ambiance hivernale, la récolte de l’eau de source, les vues du ciel au travers des branches de la forêt.