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LE MAL N’EXISTE PAS

Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois…

CRITIQUE DU FILM 

Depuis 2015 et Senses, chaque nouveau projet du japonais Ryusuke Hamaguchi est un petit événement qui prolonge une œuvre d’ores et déjà passionnante. Après la grande réussite de Drive my car, Oscar du meilleur film étranger et meilleur scénario au festival de Cannes en 2021, et l’excellent Contes du Hasard et autres fantaisies (2022), le prolifique réalisateur japonais revient avec Le mal n’existe pas.

Ce nouveau film prolonge une méthode déjà connue où le dialogue et l’écriture sont rois, mais prend également un certain contre-pied dans la filmographie de Hamaguchi, privilégiant de longues plages de silence et de contemplation. Situé dans un arrière-pays de la capitale Tokyo, loin du tumulte citadin, l’histoire prend le temps de regarder les panoramas pour faire naître une atmosphère assez différente de celles des précédents long-métrages du cinéaste.

L’installation du film prend son temps, il est important ici de planter un décor, une communauté, et un rapport à la nature particulier. Le fait de couper du bois, de s’entraider pour accomplir des tâches du quotidien toutes simples, sont aussi importantes que de développer de longues tirades qui sont jusqu’ici la marque d’Hamaguchi. S’il reconduit son dispositif, notamment encore une fois dans des moments de voyages en voitures dont il a le secret, révélant des détails fondamentaux sur les personnages, il sait aussi s’en extraire pour révéler un regard différent sur son intrigue et tout un éco-système. Takumi est le protagoniste principal du film, taiseux et atypique il se signale plus par ce qu’il fait, la place qu’il prend, que par un discours marqué. Il occupe une fonction dans sa communauté difficile à définir, homme à tout faire indispensable, il est celui qu’on consulte dès qu’il est question de développer une expertise sur ces territoires en marge de la ville.

Pourtant, dès que l’histoire rentre dans les détails, le verbe reprend une place importante, notamment par le biais de Takumi, qui se transforme pour le bien de sa petite ville, en proie à des modifications importantes. Quand il est question de modifier le territoire pour la construction d’une infrastructure de vacances, c’est lui qui prend le temps d’expliquer la nature profonde de ce lieu, ainsi que les limites et règles à respecter pour qu’une implantation soit possible, dans le respect des équilibres fragiles entre présence humaine et une faune et une flore déjà mise à mal par les transformations de l’environnement. C’est par une grande douceur que ces préoccupations écologiques sont présentées, avec un humour et une ironie qui sont véhiculés par deux personnages étonnants, un ancien agent de comédiens et une femme récemment engagée dans l’entreprise qui implante ces structures de vacances.


Désabusés, tous les deux se rendent compte de l’absurdité du projet fomenté par une hiérarchie complètement opaque et étrangère au dialogue qui doit s’opérer avec les populations locales. Hamaguchi filme une scène magnifique de consultation publique où là, les locaux interrogent, critiquent et se révèlent d’une sagesse et d’une intelligence qui désarçonnent des employés non préparés à une rencontre qui met en perspective les difficultés à développer ce type d’entreprise. Cette petite capsule de dialogues, rassurante en ce qu’elle ramène le spectateur vers quelque chose de connu dans l’oeuvre d’Hamaguchi, est vite abandonnée pour rejoindre de nouveau un rapport à la nature plus brut dès les scènes suivantes.

Le film se poursuit et se conclut dans cette symbiose profonde avec l’environnement, avec un final époustouflant qui voit toute la communauté rechercher Hana, la fille de Takumi. La réaction de ce dernier au moment de défendre un cerf contre l’agression d’un des citadins est un moment splendide qui résume tout le projet cinématographique du réalisateur de Passion (2008). L’homme doit observer, au risque de mourir s’il venait à ne pas respecter cet interdit, dans une violence qui vrombissait sous cape jusqu’ici. Si le geste diffère, les mêmes intelligence et poésie sont présentes au cœur du film. Cette progression parfaite et harmonieuse au sein de l’oeuvre du metteur en scène crée une impatience certaine pour ses prochains films, qu’on attend déjà dans les prochains mois, comme autant de promesses merveilleuses.

Bande-annonce

10 avril 2024 – De Ryusuke Hamaguchi, avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa et Ayaka Shibutani.




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