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PAUVRES CRÉATURES

Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.

CRITIQUE DU FILM 

Depuis Canines en 2009, la filmographie du réalisateur grec Yorgos Lanthimos ne cesse diviser, dans un style singulier où chaque nouveau projet nous entraine dans des directions aussi loufoques que radicales.  À 50 ans, il réalise son septième film avec Pauvres créatures, et s’il n’a rien perdu de son style si personnel, il délivre une histoire qui, si elle est moins classique que La favorite (2018), a des atours plus universels. Lanthimos bâtit son film autour d’Emma Stone, adaptant le roman éponyme d’Alasdair Gray, hommage au Frankenstein de Mary Shelley auquel on pense fortement dans le film. Cette atmosphère post-victorienne convient à merveille au réalisateur, qui ne s’arrête pas à cette simple évocation, développant un univers visuel qui lui est propre et qui imprime la rétine dans une débauche chromatique assez déroutante.

L’histoire commence dans un noir et blanc poisseux qui épouse la démarche claudiquante de Bella Baxter, fille/protégée d’un homme de médecine mystérieux, le directeur Godwin Baxter, chef de son propre institut qui semble sortir tout droit des pages de Mary Shelley. Willem Defoe, le visage déformé par des mutilations à répétitions qu’on apprendra être le fait de son propre père, a permis à une jeune femme, dont il ignore l’identité, de revenir à la vie grâce à une opération secrète qu’il a lui même élaboré. Pour résumer, Bella est une enfant dans un corps d’adulte, chaque jour qui passe lui permet d’apprendre, d’enrichir son vocabulaire, sa stature et sa démarche, mais aussi sa compréhension du monde. En cela, on pense au Bad Boy Bubby de Rolf de Heer (1993), qui voyait un homme dans la quarantaine découvrir le monde extérieur pour la première fois après avoir été séquestré par sa mère.

Si Godwin commence par l’en empêcher, il ne peut rien contre la soif de liberté de Bella qui veut « voir le monde » et en goûter tous les fruits. Il faut le dire tout de suite, Pauvres créatures est furieusement drôle, délesté du cynisme grinçant de la plupart des films de Lanthimos, avec une candeur propre à son personnage principal qui rende instantanément le film sympathique. Ce burlesque présent dès les premières scènes accompagne l’apprentissage de Bella, notamment sa quête insatiable de sexe, les « sauts bondissants » qu’elle recherche avec délice depuis qu’elle a découvert par elle-même le plaisir que cela lui procure. C’est là que le trait est brillant dans le scénario : plus elle « grandit », plus Bella met à distance l’importance du sexe dans sa vie, sans renier sa place, mais considérant toutes les autres merveilles à sa disposition, et notamment la littérature dont elle s’entiche dans ses voyages.

Pauvres créatures

Si Bella est un tourbillon d’enthousiasme et de joie, on ne peut pas en dire autant de tous les personnages masculins qui l’entourent. Lanthimos prend un malin plaisir à créer des hommes fats et stupides, Mark Ruffalo en premier lieu, qui croyait voler une femme pour son bon plaisir, quand c’est lui-même qu’il finit par perdre, pris au jeu de l’amour que lui impose cette étonnante jeune personne. Pris à son propre piège, il finit par s’effondrer complètement, dans une dégradation physique et morale qui est à l’opposé de l’épanouissement de la jeune femme. Comédie virtuose, Pauvres créatures est aussi gorgée de petits instants politiques savoureux, comme lorsque Bella, devenue prostituée dans un lupanar, devient socialiste sous l’influence d’une de ses camarades. On trouve dans cette partie du film des dialogues fantastiques d’une grande qualité d’écriture.

Selon ses propres mots, Bella est propriétaire de ses moyens de production, elle dirige sa vie selon ses envies et son besoin d’expérimenter tout ce qu’elle juge intéressant. Quand les plaisirs de la chair finissent par la lasser, elle se consacre aux études, ambitionne de passer son brevet de médecine et de reprendre l’académie de Godwin qui lui la laisse en héritage. L’enfant prodigue a vu le monde et revient dans son berceau londonien, cette ville jadis en noir et blanc désormais habitée des mêmes couleurs et lumières que le reste des endroits rencontrées par Bella dans ses aventures. On aurait pu craindre que toutes ces expérimentations chromatiques soient plus vaines qu’autre chose, mais au contraire les effets d’optique nombreux dans le film lui donnent un cachet et un charme qui n’ont d’égal que la réjouissance comique ininterrompue qui jalonne le film.

Yorgos Lanthimos s’est vu décerné le Lion d’or de la dernière Mostra de Venise pour ce très beau film, et cela sonne comme une consécration pour ce cinéaste qui ne divise plus autant, voire même rassemble derrière ce magnifique film qui réussit le prodige de tenir son humour et son cap, sans jamais être lesté par un quelconque défaut.

Bande-annonce

17 janvier 2024 – De Yórgos Lánthimos, avec Emma Stone, Mark Ruffalo et Willem Dafoe.




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