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THE CROWN

Sortie en novembre dernier, la quatrième saison de la série phare de Netflix, qui s’attache à retracer le règne de la Reine Elisabeth II, a rapidement déclenché une vive polémique outre-Manche, remontant quand même jusqu’aux hautes sphères de l’Etat, le ministre de la culture ayant conseillé à la plateforme de faire précéder chaque épisode d’un carton précisant le caractère fictionnel de The Crown. Plutôt que de finalement véritablement interroger sur le rapport de l’art à la réalité et de la responsabilité de chacun de regarder une œuvre avec discernement, cette polémique montre surtout combien le Royaume Uni n’a pas encore digéré les évènements, pourtant vieux de plus de trente ans, au cœur de cette quatrième saison. Car The Crown a toujours revendiqué son statut de fiction et a bien souvent pris des distances ou des arrangements avec la réalité au cours des saisons précédentes sans que cela ne déclenche de telles réactions.

Somptueux écrin

L’ambitieuse série est née de l’imagination de Peter Morgan, auteur spécialisé dans les biopics, à qui on doit notamment déjà le scénario du très bon The Queen de Stephen Frears et la pièce The Audience, qui imaginait les audiences d’Elisabeth II avec ses Premiers Ministres. Prévue pour durer six saisons de dix épisodes, avec un changement de casting toutes les deux saisons, la série prévoit de couvrir tout le règne de la reine Elisabeth II, en s’attachant aussi bien à retracer l’histoire politique du Royaume Uni qu’à pénétrer au cœur de l’intimité de la famille royale. Le tout offert dans un somptueux écrin.

La qualité de la production de The Crown est effectivement indéniable, livrant une reconstitution historique minutieuse sur la forme, aux décors et costumes somptueux, et magnifiée par un joli travail de photographie. Le casting s’avère également de très haute facture. Hormis John Lithgow (charismatique Churchill), les deux premières saisons font la part belle aux jeunes talents, révélant notamment Claire Foy qui campe une reine fragile qui va peu à peu gagner en assurance.

Elle sera remplacée dans les deux saisons suivantes par Olivia Colman, qui campe une reine plus mature, tenant désormais parfaitement son rôle de leader. Toutes deux récompensées par un Golden Globe, les comédiennes ont su assurer un socle commun à leurs interprétations, tout en apportant chacune leurs propres nuances. Cette qualité est à souligner pour l’ensemble du casting, notamment pour le duo Vanessa Kirby/Helena Bonham Carter, magistrales en Princesse Margaret. La saison quatre accueille aussi une hôte de marque en la personne de Gillian Anderson, métamorphosée en Margaret Thatcher.

Tout autant que la qualité des prestations, celle de l’écriture des personnages est également un atout majeur de The Crown. Le format sériel est ainsi parfaitement adapté à une fresque qui s’étend sur plus de 60 ans. Il laisse à chaque personnage l’occasion de s’épanouir. La construction de la série se fait d’ailleurs autour d’eux. Si la première saison s’attache particulièrement à Elisabeth et à son apprentissage en tant que reine, la deuxième se focalise plus sur le Prince Philippe et les difficultés du mariage royal, tandis que la saison trois voit les début de Charles en tant que Prince de Galles, avant que sa relation avec Diana soit au cœur de la quatrième saison. La Princesse Margaret ainsi que les différents Premiers Ministres successifs se voient quant à eux octroyer des épisodes entiers.

The Crown saison 4

Personnages moteurs et intimité

L’évolution des personnages est ainsi le moteur principal de The Crown. Si la série s’attache à reprendre certains évènements forts de l’histoire moderne du Royaume Uni c’est, bien sûr, pour faire une peinture de chaque époque, mais avant tout pour faire avancer ses personnages. Rien d’étonnant alors à ce que Peter Morgan s’arrange parfois avec la réalité des faits pour mettre en avant un personnage, une émotion, une idée. L’épisode 5 de la saison 4 est assez révélateur de ce procédé. On y voit un inconnu pénétrer par effraction dans la chambre de la reine. Si ce fait est avéré, l’auteur invente une conversation qui n’a jamais eu lieu entre la monarque et l’homme, au cours de laquelle ce dernier alerte la reine sur l’état du pays. Le détournement de ce fait divers est plutôt astucieux d’un point de vue dramatique pour refléter la politique thatchérienne et confronter Elisabeth à la réalité de son pays.

De même, ce qui fait toute la force de The Crown est l’intimité particulière que la série nous permet de partager avec les personnages, nous offrant la possibilité de vibrer avec eux. Et si cela fonctionne c’est bien parce que Peter Morgan a fait le choix de dramatiser les relations entre les protagonistes, d’imaginer ce qui peut se cacher derrière le vernis de l’image publique imposée à la famille royale, quitte à parfois pousser les curseurs un peu loin, en exacerbant les tensions et les émotions. Un procédé qui existe depuis la première saison, mais qui semble diviser dès lors que la série s’attaque à des événements plus récents et qui, surtout, ont particulièrement ébranlé l’image de la famille royale. Ainsi, pas étonnant finalement qu’en reprenant les turpitudes du mariage de Charles et Diana The Crown fasse polémique, au même titre que les événements eux-mêmes à l’époque. L’éclatement de ce mariage n’est pourtant finalement que l’expression d’une menace sourde apparue dès la première saison.

The Crown s’attache en effet à montrer une monarchie aux valeurs conservatrices en proie à des changements inévitables dans une société qui évolue plus rapidement qu’elle. Sur la première saison plane l’ombre de l’abdication d’Edouard VIII qui a préféré son mariage « immoral » à la couronne. Puis c’est la Princesse Margaret qui ne pourra épouser l’homme qu’elle aime et verra son union de substitution finir par prendre l’eau. Ainsi, lorsque Charles se trouve dans la même situation, la tragédie devient de fait inévitable. Peter Morgan fait de Diana l’élément perturbateur qui va définitivement ébranler le système de l’intérieur. Ironiquement, c’est en voulant choisir une femme irréprochable (en comparaison de Camilla Parker Bowles) pour l’image de la couronne, que celle-ci se tire une balle dans le pied. Il est effectivement vrai que Peter Morgan exagère le côté « Cendrillon » de Diana (si elle est plus proche du peuple, elle n’en est pas moins de « sang bleu », et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a été choisie) mais cela lui permet d’offrir un climax plus marquant dans la confrontation de la famille royale à l’évolution de la société, et qui va prendre corps dans la querelle entre Charles et Diana, ultimes victimes du poids de la couronne.

Olivia Colman dans The Crown

Renoncements et crises identitaires

Le poids de la couronne est d’ailleurs peut-être le thème majeur de la série, dont le titre n’a pas été choisi au hasard. Chacun des personnages de la famille Windsor le subit à sa façon. La reine Elisabeth d’abord, qui accède trop rapidement à un pouvoir auquel elle n’était pas destinée et dont elle ne voulait pas. Celle qui aurait préféré vivre dans l’ombre se retrouve au départ écrasée par une fonction pour laquelle elle ne se sent aucune légitimité et capacité. On la voit peu à peu accepter sa tâche et trouver en elle la force d’assumer pleinement son rôle. Son conjoint, le Prince Philip, doit quant à lui accepter de se subordonner à son épouse (nous sommes dans les années 50, rappelons-le), de vivre dans son ombre et de renoncer à sa carrière.

La deuxième saison explore notamment la crise identitaire de Philip. La Princesse Margaret, avec son addiction à l’alcool et ses dérives en tout genre, est le personnage le plus violemment broyé des premières saisons. Elle doit en effet supporter toutes les règles liberticides de la couronne alors qu’elle n’aura jamais accès au statut de reine qu’elle aurait tant désiré. Elle est un peu le personnage annonciateur de Diana, encaissant les coups et offrant à l’extérieur du palais une image plus moderne, plus vivante de la couronne, à la différence qu’elle se plie aux limites qui lui sont imposées. 

Machine infernale

Le Prince héritier est sûrement le personnage pour qui le poids de la couronne est le plus lourd, et ne doit pas être limité à l’image renvoyée dans la quatrième saison. La série choisit dès le départ de le montrer en victime d’une machine infernale. Enfant fragile et réservé, plus porté sur l’art que sur des valeurs militaires, ses désirs sont très tôt réprimés pour le conformer à l’image de futur monarque fort que l’on attend de lui (voir le superbe épisode 9 de la saison 2). Charles accepte son rang mais aspire à pouvoir s’exprimer plus librement (voir son voyage au Pays de Galles et son discours dans l’épisode 6 de la saison 3), mais se heurte à l’opposition de sa famille lorsque celle-ci refuse son union avec Camilla.

The Crown Charles Diana

En se mariant à Diana, Charles accepte d’épouser la façade imposée par son rang mais son esprit et son cœur, eux, s’y refusent. Cependant cette façade ne peut réellement tenir, car Diana elle-même ne veut pas se fondre dans le moule royal. Difficile alors pour Charles d’accepter que son épouse se retrouve sur le devant de la scène en montrant une image plus moderne et plus personnelle de la monarchie, alors que lui-même a dû réprimer ses désirs d’émancipation. Ainsi si Diana représente le personnage brisé par la couronne aux yeux du public (ce qui ne sous-entend pas qu’elle ne l’est pas réellement, sa boulimie est notamment une des preuves de sa détresse psychologique), Charles est son pendant dans la face cachée de la monarchie. Le couple princier porte ainsi en lui toute la complexe mutation que se voit contrainte d’opérer la monarchie anglaise à l’heure des changements du XXe siècle.

Un couple qui, à n’en pas douter, sera encore au cœur de la cinquième saison de The Crown, qui devrait s’attarder sur sa séparation et le décès de Diana. La sphère politique verra quant à elle le retour au pouvoir des Travaillistes avec Tony Blair. Comme prévu, le casting sera entièrement changé et l’on attend avec impatience de voir Imelda Staunton reprendre le rôle de le Reine et Jonathan Pryce celui du Prince Philip.


Disponible sur Netflix


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