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SOUVENIRS DE MARNIE

Anna, jeune fille solitaire, vit en ville avec ses parents adoptifs. Un été, elle est envoyée dans un petit village au nord d’Hokkaïdo. Dans une vieille demeure inhabitée, au cœur des marais, elle va se lier d’amitié avec l’étrange Marnie…

Critique du film

Dans Souvenirs de Marnie, le cinéaste Hiromasa Yonebayashi ne se contente pas de rompre avec les représentations idéales des jeunes filles dont les Pères fondateurs Miyazaki et Takahata ont fait la marque du studio Ghibli. Il produit rien de moins que l’une des plus belles œuvres de ce studio, malheureusement non reconnue à sa juste valeur.

De quelle manière Souvenirs de Marnie se démarque-t-il de la représentation de la féminité selon Ghibli ? Revenons à Miyazaki, qui, plus que son confrère Takahata, mit en place à Ghibli les standards de représentation des jeunes filles. Deux archétypes dominent sa filmographie. Le premier court de Nausicaä de la vallée du vent au Château ambulant, en passant par Princesse Mononoké et Le Voyage de Chihiro : c’est la guerrière légendaire. L’adolescente s’illustre par les armes (ou contre les armes dans Le Château ambulant) pour faire triompher sa cause. C’est dans la lignée de cette féminité en armes que s’inscrit Arrietty, l’héroïne du premier long-métrage homonyme de Yonebayashi. Le second archétype regroupe les œuvres destinées au plus jeune public (Kiki la petite sorcière, Mon Voisin Totoro, Ponyo sur la falaise) et postule le bonheur enfantin. Des fillettes s’émerveillent de la magie du monde et semblent vivre ainsi une existence heureuse, autonome et libre de tous soucis (ou si peu).

Au regard d’autres représentations de la féminité adolescente, par exemple ceux d’un Disney, ces archétypes sont nettement plus féministes. Toutefois, comme tout stéréotype, ils négligent certains éléments cruciaux de l’adolescence féminine. À commencer par les problèmes concrets qu’on rencontre à cet âge. De ce point de vue, Mary et la Fleur de la sorcière, le troisième long-métrage de Yonebayashi, qu’il tournera en-dehors de Ghibli, et Souvenirs de Marnie se complètent à merveille. Le premier propose une relecture des aventures de Kiki la petite sorcière et du Château ambulant sous le prisme de l’exclusion scolaire et la honte de soi. Le second aborde quant à lui un sujet rarement traité dans les productions Ghibli (ou alors sous la forme cataclysmique du Tombeau des Lucioles, certainement le film le plus déprimant du monde) : le malheur.

Féminité et malaise adolescent

Contrairement à bon nombre d’adolescentes du studio, Anna se sent mal dans sa peau. Les raisons de son malaise ne sont jamais très clairement explicitées, mais au vu des indices dont on dispose, on suppose qu’elles résultent d’un mélange entre drame familial (la perte de ses parents très jeune, son adoption par une famille d’accueil), crise d’angoisse, asthme, virulence verbale, exclusion scolaire, haine de soi et perte du goût de vivre. Néanmoins, Yonebayashi approche son personnage avec une grande pudeur dans la mise en scène. La quasi-absence de musique laisse ainsi toute sa place au doute et aux émotions contenus dans l’image. 

D’émotions, il est souvent question dans cette œuvre atypique. Comme son titre l’indique, Souvenirs de Marnie préfère la nostalgie aux grandes effusions sentimentales caractéristiques du studio. Par conséquent, la fable se nourrit d’irréalité. Rarement dans un dessin animé à destination du jeune public (au demeurant plus âgé que la moyenne du studio) on aura vu un personnage aussi trouble que Marnie. Cette jeune femme à l’élégance d’un autre âge, qu’Anna rencontre lors d’une escapade à la Maison des Marais, apparaît à l’image dans une présence-absence. Trop belle, trop parfaite pour être vraie, elle s’apparente plus au fantasme – surtout du point de vue d’Anna – qu’au réel. Ajoutez à cette stéréotypie idéale une série de flash-backs et une confusion récurrente chez Anna entre ses rêves et la réalité et vous obtiendrez un film d’une grande délicatesse, tout entier plongé dans la subjectivité de son héroïne.

Enfin, il faut noter un dernier élément distinctif de Souvenirs de Marnie : la relation entre Anna et Marnie. Lorsqu’on évoque les relations féminines au cinéma, on renvoie souvent au fameux test de Bechdel. Non seulement Souvenirs de Marnie le passe haut la main, mais je dirai même qu’il l’outrepasse. La présence masculine à l’écran y est anecdotique, tant le récit s’attarde sur le couple étrange que forment les deux jeunes filles. À tel point qu’on ne sait plus comment qualifier cette paire : amicale à ses débuts, elle vire à un amour qui ne dit pas son nom. On ne sait comment juger le « je t’aime » qu’Anna hurle à Marnie, surtout lorsqu’on comprendra plus tard le lien secret qui les unissait depuis le début. Et c’est tant mieux. Car en tenant habilement la fine corde de l’implicite, Yonebayashi laisse libre cours aux passions complexes de ses personnages sans les enfermer dans un stéréotype, progressiste ou non.   


Disponible sur Netflix


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