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LES CARNETS DE SIEGFRIED

En 1914, le jeune Siegfried Sassoon, poète en devenir, est enrôlé dans l’armée britannique. De retour du front, révolté par ce qu’il a vu, il devient objecteur de conscience. Ses pamphlets pacifistes lui valent une mise au ban par sa hiérarchie, mais aussi une forme de reconnaissance artistique, lui ouvrant les portes d’une nouvelle vie mondaine. Mais dans cette société du paraître, Siegfried se perd, tiraillé entre les diktats de la conformité et ses désirs de liberté.

CRITIQUE DU FILM 

Dépeindre le positionnement politique de Siegfried Sassoon est surtout, pour Terence Davies, l’occasion de nous parler de la guerre et de ses traumatismes laissés sur une jeunesse dont les corps et les idéaux seront déchirés sur le front. Quand il aurait été facile de capitaliser sur ce thème, le réalisateur choisit de ne pas s’attarder sur le frère mort au combat, sur le chagrin d’une mère meurtrie ou sur la douleur du frère restant. Comme si c’était trop évident, ou déjà vu trop souvent auparavant. C’est d’ailleurs une des nombreuses qualités du film, la volonté de prendre du recul pour évoquer une époque précise, celle de la Première Guerre mondiale, les mœurs qui y sont affiliées, et au milieu de tout ça, un homme tiraillé entre ses désirs, ses ambitions et ce qu’on attend de lui.

Poète de guerre


C’est en cela que Les Carnets de Siegfried n’a de biopic que le titre, et encore. La figure de Sassoon ne jouissant pas d’une grande renommée internationale, le film a tout le loisir de raconter son histoire sans se cacher derrière cet argument commercial, et sans non plus s’embarrasser du cahier des charges habituellement suivi à la lettre dans ce genre d’exercice. Le personnage n’est pas enrobé de cette lumière héroïque, de cette complexité exacerbée, de ce rythme affolé et de cette exhaustivité propre à tous les autres. En somme, le film prime sur son personnage et non l’inverse. Et puis, comme s’éloigner encore plus de cette étiquette, l’ultime réalisation de Terence Davies, décédé en 2023, serait plus à ranger du côté des drames aux accents documentaires.

Avec un élégant classicisme, le réalisateur utilise un procédé rappelant en effet le docu-fiction, en insérant entre les séquences des archives de guerre. Des images réelles, terribles, montrant des scènes de désolation, des corps mutilés, par-dessus lesquelles des poèmes de Sassoon sont récités calmement par un narrateur anonyme. Davis laisse alors à ces passages le soin de porter la véritable charge émotionnelle du film, les états d’âmes du poète étant montrés de manière flegmatique. Si cette retenue, très anglaise, constitue un charme indéniable, cette économie des émotions empêche finalement le film de réellement nous emporter.

Amours interdites

En effet, l’une des composantes de cette histoire est aussi l’homosexualité du personnage principal, et plus généralement, la représentaion des relations entre hommes à la fin de l’époque edwardienne. On nous donne alors à voir un Sassoon tiraillé par le paradoxe de ses désirs ainsi que son attente de trouver une femme, une épouse qui lui garantira une vie digne, ainsi qu’une descendance. Là encore, aucun accent sensationnaliste n’est posé sur le jeu dangereux que représentait le fait d’avoir des rapports illégaux, de figurer le poids de cet interdit, ou de ce qu’aimer en secret, parfois dans la peur, devait causer de fièvre et de désir décuplé.

Davies nous donne plutôt à voir quelque chose d’à la fois pudique et moderne, à savoir une société gentiment décadente où les amants s’échangent à la chaîne jusqu’au jour du mariage. On cite bien Oscar Wilde et “cet amour qui n’ose pas dire son nom” (“The love that dare not speak its name”), mais à part ça, les émotions intimes restent poliment dissimulées. Les Carnets de Siegfried, servi par un excellent Jack Lowden et une photo soignée, n’en reste pas moins un très beau drame classique doté d’ellipses bien choisies et de quelques belles idées de mise en scène, notamment lors des passages à l’âge adulte de certains protagonistes.

Bande-annonce

6 mars 2024 – De Terence Davies, avec Jack Lowden, Calam Lynch et Kate Phillips.




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