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LA FIÈVRE

Manaus, une ville industrielle au cœur de la forêt amazonienne. Justino, un amérindien de 45 ans, est agent de sécurité dans le port de commerce. Sa fille se prépare à partir pour Brasília afin d’y suivre des études de médecine. Confronté à la solitude de sa modeste maison et persuadé d’être poursuivi par un animal sauvage, Justino est saisi d’une fièvre mystérieuse. 

Critique du film

Chronique d’un effacement, La Fièvre retrace, à travers le parcours de Justino, le cheminement des autochtones amérindiens venus peupler la ville de Manaus. A la lisière entre documentaire et fiction, le film déploie un souci anthropologique qui en constitue à la fois sa beauté et ses limites.

Maya Da-Rin sait que la justesse est une loyauté. Venue du documentaire, la réalisatrice, pour son premier long-métrage, a tissé un trame fictionnelle qui ne sacrifie rien au matériau réel duquel elle s’inspire. Les acteurs non professionnels ont participé au scénario, leur choix a déterminé l’origine ethnique des personnages. Le film a aussi bénéficié du regard de l’anthropologue Pedro Cesarino. Il en résulte une très grande sensibilité dans le portrait de Justino et de sa famille. L’image véhicule une forme d’absolue sincérité qui, d’emblée, instaure un contrat de confiance propre a engager le  spectateur à suivre le voyage intérieur qui attend Justino.   

Justino a quitté son village de la forêt amazonienne il y a une vingtaine d’années. Il a d’abord contribué à la construction de la zone industrielle de Manaus puis a trouvé un travail moins harassant en intégrant la société en charge de la sécurité du port commercial. Par des effets de répétition, de boucles temporelles, le film dessine une usure accentuée par un mélange de motifs infra-ordinaires (une fissure constatée dans un mur) et de lignes dramatiques (un avertissement professionnel, l’information de son récent veuvage). C’est ce même mouvement arythmique qui situe le film entre quotidienneté et permanence pour dire la dilution de la culture amérindienne dans la béance de la ville. 

« Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Facettes d’un même miroir
Vêtues d’acier, vêtues de noir
Comme un Lego mais sans mémoire »

Rien ne résume mieux le sentiment général du film que cette strophe issue de Comme un légo, la chanson de Gérard Manset. 

La cité, machine à isoler au milieu de la multitude, impose une uniformité : même nourriture de supermarché, mêmes circulations, même fatigue…

Le film avance en trompe l’oeil, dans un mouvement de suggestion permanent, à la fois passionnant et déstabilisant. Ce sont des situations de dérèglement qui, peu à peu, viennent réinjecter, dans l’esprit de Justino, une présence de la culture amérindienne : un animal sauvage qui rôde dans son quartier, une fièvre qui ne le quitte plus. Son état de fébrilité le conduit à suivre un parcours médical inapte à le soigner. Son frère l’incite à recourir aux pouvoirs du chaman de leur village. Au même moment, sa fille Vanessa est acceptée à la faculté de médecine de Brasilia. C’est à la fois une chance inouïe et la promesse d’un éloignement. Une vie à prescrire des médicaments ironise son frère. 

Quant à l’animal sauvage qui met le quartier en panique, Justino semble l’entendre, le percevoir. Lui qui passe ses journées à surveiller une montagne de containers tel un chasseur sans proie. Lors d’une très belle séquence onirique, Justino pénètre la forêt voisine habitée par des sonorités très proches de celles de l’activité portuaire. 

La confusion de ces deux univers à priori si dissemblables, est précisément l’endroit que le film choisit d’habiter. 

D’une richesse foisonnante, La fièvre ne manque cependant pas de frustrer par son exigence à laisser hors-champ tout ce qui constitue l’ancrage identitaire de Justino. Une manière de souligner l’effacement inexorable de la culture amérindienne mais aussi de tenir à distance le formidable potentiel esthétique d’une étrangeté seulement esquissée.

Bande-annonce

30 juin 2021 – De Maya Da-Rin, avec Regis MyrupuRosa Peixoto




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