l’enfant

L’ENFANT

L’histoire se déroule au XVIe siècle près de Lisbonne où Bela croise le chemin de Rosa, l’amour de sa vie ; c’est aussi là qu’il rencontre Jacques, un ami de ses parents adoptifs, avec qui il vit une amitié mouvementée. Bela tente de trouver sa place, mais une succession d’événements incontrôlables (causés par des malentendus, des ambiguïtés, la jalousie…) conduisent au désastre.

Critique du film

Le cinéma s’est rarement moqué de Heinrich von Kleist. Après Michael Kohlhaas par Volker Schlondörff, Milos Forman ou Arnaud Des Pallières, Le Prince de Homburg par Marco Bellocchio, La Marquise d’O par Eric Rohmer, voici L’Enfant retrouvé par Marguerite de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois. Du haut de leurs 25 ans, le couple de cinéastes (deux courts métrages au compteur, Au Mont et Les ruines en été) fait preuve d’une maîtrise stupéfiante pour un premier long-métrage qui vient prolonger une superbe série d’adaptations littéraires. L’Enfant ausculte, le temps d’un été lisboète en suspension, l’entrelacs des sentiments d’une poignée d’individus pris dans les tourments de l’Histoire. D’une inlassable beauté, le film arrive sur nos écrans avec la discrétion des plus belles découvertes.

L'Enfant
Ce pourrait être un film à la gloire du vent. Celui qui, selon un poème composé par Pierre, « donne aux arbres l’allure d’un mauvais maître qui bat ses serviteurs », également celui qui fait danser les voilages et entrer le soleil dans les pièces sombres, celui enfin qui avive les souvenirs, accompagne les rêves et favorise les confidences. Nous sommes au XVIe siècle, dans la somptueuse demeure de Pierre, marchand prospère remarié avec Maria. Bela, son fils adoptif, a transformé le malheur (la perte d’un premier enfant) en promesses. Pourtant, les sentiments que provoquent en lui la beauté de Rosa, esclave affranchie, inquiète. Jacques, par la voix duquel le récit nous est conté, est amoureux semi-clandestin de Pierre. Derrière chaque personnage, un fantôme est tapi. Ombres et lumières se partagent les cadres splendidement composés. Les cinéastes travaillent la profondeur de champ en deux dimensions. Une valeur de fuite avec des plans d’intérieurs surcadrés par une fenêtre ouverte par laquelle semblent s’échapper les secrets d’alcôves. Une autre valeur, de protection, met en scène un personnage au premier plan et un autre au second, légèrement décalé. Fuite et protection sont au cœur des intrigues sentimentales et familiales qui agitent amants, parents, enfants, serviteurs et homme d’église.

Si le temps de l’action est un temps suspendu, il n’est en rien apaisé. Le récit percute l’action en traversant les personnages de souvenirs et de velléités. La mort du premier enfant hante encore Pierre et Jacques. Maria vit dans le souvenir de la disparition tragique d’Abel, celui qui a péri en lui sauvant la vie. Bela et Rosa fantasment un départ qui affranchirait leur amour de toute contrariété. La vie trépidante appartient au passé et au futur dans cet été de latence qui semble attendre comme une fatalité qu’une parenthèse se referme. Les conversations alimentent la construction d’un jeu complexe de sentiments.

L'Enfant
L’Enfant passionne par l’agencement de ses voix narratives mais plus que tout subjugue par sa beauté et son impeccable direction artistique. Marguerite de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois se sont entourés de techniciens portugais parmi lesquels le légendaire Mario Barroso, fidèle collaborateur des deux maîtres portugais, Manoel de Oliveira et João César Monteiro. La photographie met en valeur les décors et les costumes, étoffes et parois rouge garance, vert fougère ou bleu céramique. Devant nos yeux éblouis, c’est un condensé de l’histoire de la peinture qui défile. Des clairs obscurs de la Renaissance jusqu’aux libres références à l’impressionnisme, Barroso éclabousse le film de son immense talent.

Traversé par un tragique sentiment de mélancolie, L’Enfant n’est pas dépourvu de légèreté, traduite par les fugues de Bach qui accompagnent notamment un très joli interlude aux sourires. Mathilde de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois s’inscrivent avec ce film d’un classicisme profondément libre, dans la lignée, pour s’en tenir au cinéma français, de Jacques Rivette (on pense à l’intensité de ses adaptations de Balzac) ou Rabah Ameur-Zaïmèche (pour sa capacité à lire l’Histoire avec une farouche modernité). Leur éclosion aujourd’hui, garantit à ce cinéma là, illuminé par l’intelligence du regard, un avenir radieux. Passer à côté serait fort dommage.

Bande-annonce à venir

20 avril 2022 – De Marguerite de Hillerin et Félix Dutilloy-Liégeois
avec João Luís Arrais, Grégory Gadebois, Maria João Pinho