JOINT SECURITY AREA
En plein coeur de la Dead Man Zone séparant la Corée du Nord et la Corée du Sud, deux officiers communistes sont retrouvés morts, criblés de balles. Un militaire sud-coréen, principal suspect de l’affaire, est interrogé par une enquêtrice…
Jeux sans frontières.
Faire un film sur l’amitié en plein cœur d’une Dead Man Zone, il fallait oser. Mais quelque part, rien de plus logique : Park Chan-Wook n’aime rien tant que de faire pousser des fleurs là où l’on pensait le terreau inapte à la vie, rappelant au passage que les volcans sont aussi violents et destructeurs que leurs cendres proposent de fertiles récoltes. Le réalisateur coréen, sur JSA – Joint Security Area, s’approche déjà du feu pour cultiver son jardin. Et comme souvent, son point de départ est particulièrement lugubre : à la frontière entre Corée du Nord et Corée du Sud, deux officiers nord-coréens sont retrouvés criblés de balles. Ils appartiennent au camp de Séoul. Rapidement, la culpabilité en revient à un soldat en particulier, Lee Soo-hyeok (Byung-Hun Lee), présent en terres ennemies. C’est finalement la raison de sa présence qui sera l’objet principal du film, plus que le destin tragique de l’intrigue.
Le sujet est évidemment épineux, surtout lorsqu’il est traité en interne. Impossible de ne pas ressentir par touches inconscientes ou au contraire trop appuyées, une valeur ici, une morale là bas, que Park Chan-Wook est d’un certain côté de la barrière. Quand bien même il se place du côté du personnage supposé impartial, dans un geste quasi comique – l’enquête est gérée par une suisse d’origine coréenne, Sophie E. Jean (Yeong-ae Lee). Mais regarder JSA en cherchant absolument à l’assigner à un camp, au Nord ou au Sud, c’est commettre la grave erreur de ne pas voir où son réalisateur en cherche sa vérité : que toute histoire politique ou dramatique contient en son cœur une autre histoire cachée, humaine, cette fois. Et qu’elle est toujours cent mille fois plus vraie que tous les mensonges et les cruautés du pouvoir.
Il faut impérativement ouvrir JSA – Joint Security Area plusieurs chapitres en avant pour en comprendre la valeur inhérente et profonde. Au delà des frontières, lignes, délimitations et zones de non-droit, c’est dans une petite cabane à la lisière de la lisière des mondes que les vrais grands événements du film se déroulent. On pourrait presque tricher et parler de huis-clos, tant les personnages principaux, représentants partout ailleurs de la grandeur du communisme ou du régime démocratique républicain, n’y sont finalement qu’eux-mêmes, sans fard. Relégués au rang de fonction, de faire-valoir ou d’ennemi, suivant là où on se place, le bonheur de JSA réside dans l’harmonie de sa réalisation, réservant les gestes de photographie là où le cœur, et le cœur seulement, est à l’oeuvre.
Park Chan-Wook soigne sa mise en scène au cœur de cette rencontre impromptue entre deux militaires de chaque faction, avec cet art tout coréen de la composition dans les petits espaces de vie. Des compositions que se regardent comme des tableaux, dont l’esthétisme épouse à merveille la fonction, peut être seulement égalés par Memories Of Murder dans le pays. Tout ceci en contraste flagrant avec ces scènes diplomatiques ou quasi policières d’une banalité presque exemplaire, comme pour souligner que là n’est pas la clef du film. Finalement, le reste de la valeur de JSA, celle promise en début d’article, la valeur humaine, elle ne ferait que peu de cas si on la retransposait en mots. Le film, comme tous les grands films, puise sa force dans l’exploitation égale et complémentaire de tous les arts du cinéma, pour servir finalement une si petite et grande chose : une histoire d’amitié. Une histoire d’amis. JSA – Joint Security Area construit ainsi sa préciosité comme celle d’une photo à l’apparence triviale pour qui n’en connaîtrait pas les secrets cachés du moment qu’elle capture.
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