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HALLOWEEN ENDS

Quatre ans après les événements d’Halloween Kills, Laurie vit désormais avec sa petite-fille Allyson et achève d’écrire ses mémoires. Michael Myers ne s’est pas manifesté ces derniers temps. Après avoir laissé l’ombre de Michael planer sur le cours de son existence pendant des décennies, elle a enfin décidé de s’affranchir de la peur et de la colère et de se tourner vers la vie. Mais lorsqu’un jeune homme, Corey Cunningham, est accusé d’avoir assassiné un garçon qu’il gardait, Laurie devra affronter une dernière fois les forces maléfiques qui lui échappent, dans un déferlement de violence et de terreur…

Critique du film

BOOGEYMEN ARE F*CKING OUT

Eastbound & Down (Kenny Powers en version française) est une série comique diffusée entre 2009 et 2013 sur le réseau HBO. Elle fut développée par Ben Best, Jody Hill et Danny McBride, ce dernier étant aussi l’interprète principal. Eastbound & Down raconte les aventures d’un joueur de base-ball sur le déclin, Kenny Powers, qui essaie tant bien que mal de se refaire une santé pour retourner sur les circuits des Ligues Majeures de base-ball. Kenny est un personnage égocentrique, mythomane, raciste, sexiste, totalement déconnecté de la réalité et « addict » à à peu près toutes les substances possibles et inimaginables. Durant les quatre saisons que contient la série, Kenny Powers va se confronter à ses échecs, à ses lueurs d’espoir qu’il éteint en trente secondes, mais aussi au regard des autres qui vont l’influencer durant une courte période et le feront réfléchir au déclassement social qu’il subit progressivement suite à ses multiples déboires.

Souvent adoubée pour sa radicalité et sa transgression absolue de toutes les règles de bienséance, la série fut produite et soutenue par des grands noms de la comédie américaine. Craig Robinson, Adam Scott ou Will Ferrell font une apparition durant quelques épisodes, et Adam McKay a lui-même produit et réalisé des parties du show. Mais la quatrième tête pensante de l’édifice, réalisateur et producteur consultant, est probablement celle qui nous intéresse le plus avec Danny McBride dans ce texte : David Gordon Green. Amis depuis l’université, les deux lurons partagent un goût immodéré pour la surcharge esthétique, la violence sociale et l’humour qui confine au malaise.

Eastbound & Down, Ben Best, Danny McBride et Jody Hill, 2009

Leurs projets communs ont d’ailleurs tous en leur sein cette idée d’étirement maximal des blagues, et ce souhait extrême de ne pas s’atteler sur la situation comique mais sur la longueur interminable post-situation comique, rendant le tout très inconfortable. Les monologues de James Franco dans Délire express (réalisé par Green et incluant McBride au casting) sont rarement les moteurs comiques du long-métrage, en revanche les réactions lunaires de ses acolytes à la suite de ses réflexions font beaucoup plus mouche. Eastbound & Down fonctionne de la même manière, et ce en permanence : ce que dit Kenny est bien trop grave pour être drôle, mais la réaction de son interlocuteur ou un violent « cut » asséné au montage mettent bien plus la puce à l’oreille sur la réaction à avoir. Un jeu de réponses formel passionnant, très délicat à tenir ; mais rarement raté dans la série.

Au-delà de toutes ces exubérances, Kenny Powers articule dans la série la notion des effets pervers du fétichisme. Kenny peut tout se permettre parce qu’il sait qu’on ne peut jamais lui dire grand-chose : parce qu’il intimide, parce qu’il est craint, parce que ses vengeances sont régulièrement cinglantes. Aussi Kenny attire parce que son surmoi n’existe pas, c’est un enfant qui apprend ses premiers gros mots et à qui l’on autorise n’importe quel mauvais coup. A ce titre, le personnage de Stevie fait le contrepoint pour le spectateur. Ancien professeur de musique au lycée de Lawndale (établissement où Kenny se voit contraint d’exercer le métier de professeur de sport pour se refaire une santé financière), Stephen « Stevie » Janowski est un trentenaire réservé, d’une candeur désarmante, encore vierge et facilement influençable. En somme, il est avant tout l’opposé de Kenny. Son rapprochement avec celui qu’il considère de façon déraisonnable comme son « éminence grise » le force à s’habiller comme lui, à parler comme lui, à agir illégalement comme lui ; mais avec une couardise hilarante dont il ne parviendra jamais à vraiment se défaire.

Eastbound & Down, Ben Best, Danny McBride et Jody Hill, 2009

L’effet pervers du fétichisme pourrait s’arrêter là, mais il atteint un premier point de non-retour lorsque, lors d’une séquence durant un barbecue, Kenny s’aperçoit que Stevie est habillé comme lui – chemise et pantalon noir, chaîne en or brillante, ceinture pimpante et escarpins croco ringards. Dans un plan de demi-ensemble en face à face, Kenny s’aperçoit de la tenue vestimentaire de son nouveau souffre-douleur et lui indique qu’il déteste la façon dont il est habillé. Cette séquence intervient après une autre où Kenny tente de convaincre une prostituée de l’accompagner à ce même repas, tout en la critiquant sur l’accoutrement qu’elle souhaite mettre pour l’événement. Ainsi, la séquence entre Kenny et Stevie ne souffre pas beaucoup d’ambiguïté : Kenny ne reproche pas à Stevie son accoutrement parce qu’il veut être le seul à s’habiller de cette façon ; il lui reproche parce qu’il est effrayé à l’idée de se voir dans autrui. En cela, Kenny Powers est une variation du mythe de Méduse, créature mythologique qui ne pouvait être vaincue que lorsqu’elle percevait son propre reflet. A force de voir en son compère trop gentil au physique quelque peu disgracieux un miroir déformant, Kenny Powers y décèle ses propres faiblesses, ses échecs et son mauvais goût – en somme, sa médiocrité qu’il ne cesse de renier.

QUI FAIT LE MALIN…

Halloween Ends, dernier opus de la trilogie Halloween écrite en partie par le tandem Green/McBride, dissémine également le mythe « Médusien » en son sein. Corey Cunningham, adulescent d’Haddonfield, est moralement mis au ban de la ville après un quiproquo entraînant la mort d’un enfant qu’il baby-sittait, fait la rencontre de Michael Myers et commet une série de meurtres dans le comté. D’abord réticent à l’idée de massacrer des individus, il décide de passer à l’acte après avoir réussi à retirer le masque de « The Shape » et à l’orner pour semer la terreur. Comme dans Eastbound & Down, l’avatar du « boogeyman » (ses habits, sa posture) importe bien plus que le reste du personnage pour lui ressembler (Corey dit même à Michael, surnommé « La Forme » (« The Shape ») dès le générique : « You’re just a man with a Halloween Mask » (« Tu n’es qu’un homme sous un masque d’Halloween »), preuve de l’ornement au-dessus de la personnalité).

La mécanique psychologique de Stevie dans la série Eastbound & Down ne fait qu’une avec celle de Corey : sans cesse dépassés, les deux hommes se rattachent à des figures qui donnent une sensation de toute puissance et de liberté absolue. Leurs modèles, pourtant, sont des êtres impassibles, inaltérables et vouées à ne jamais changer de comportement au fil du temps. En effet, est remarquable le sentiment que dans la série comique comme dans cette saga horrifique, ce qui change n’est pas le personnage iconique, mais bien les personnes qui gravitent autour, désormais influencées par l’icône. A ce titre, le fétichisme extrême tient du fait que Corey et Stevie ont conscience des barrières morales, et profitent de leurs modèles pour les dépasser en tous points. Après tout, si leurs « héros » peuvent être comme ça, pourquoi ne seraient-ils pas capables eux-mêmes de devenir comme eux ? Le parallèle amusant entre Halloween et Kenny Powers soulève alors un aspect assez passionnant de la trilogie horrifique : les films Halloween par McBride et Green parleraient avec parcimonie de la rencontre avec le Mal, de la peur du reflet chez autrui et la rencontre de quiconque face à l’inaltérable.

Halloween ends

Il suffit de voir la séquence où Corey se fait étrangler par Myers lors de leur premier contact dans Halloween Ends, et notamment un insert très symbolique où Michael voit son propre reflet dans la pupille de sa potentielle victime, qui l’incite à relâcher brutalement sa strangulation. Le choix plastique est désuet mais il est on ne peut plus équivoque sur le programme du long-métrage : les deux personnages ont leurs destins désormais liés. Comme Michael Myers, Corey Cunningham est d’ailleurs le seul personnage du film à posséder une même première lettre pour le prénom et le nom (CC / MM). Une portée thématique déclinable à l’infini qui a ses passages cruciaux au sein de chaque film signé David Gordon Green (dans le premier de 2018, Laurie apprend à tirer à l’arme à feu pour se protéger du retour de Myers ; dans le deuxième de 2021, la ville entière adopte la Loi du Talion pour tenter de mettre un terme aux crimes du 31 octobre de Haddonfield), mais qui dans le troisième volet sorti en 2022 atteint son point le plus culminant tant il paraît être à première vue l’un des éléments introductifs essentiels du récit.

… RATE SES LARCINS

Ainsi, au vu de ce premier développement, Halloween Ends marquerait d’une pierre blanche la réussite incontestable d’une saga enfin parvenue à se renouveler après tant d’années d’errements, en plus de ne pas se morfondre dans l’hommage lourdingue au travail de John Carpenter. Mais ce serait aller bien trop vite en besogne.

D’une part parce que cette nouvelle trilogie a longtemps été prisonnière de virages artistiques douteux, dont on ne sait pas vraiment s’ils sont dûs à une demande spécifique de Jason Blum (producteur exécutif des trois derniers reboots) ou souhaités par le « pool créatif ». En effet, Halloween Ends évoque l’idée d’hommes qui prendraient le relais de Myers, parce que comme l’assène littéralement Jamie Lee Curtis en voix off au début du film : « The Shape » est le Mal à l’état pur, autant personnage que métaphore de la violence en chacun de nous. Mais cette idée est déjà bien dissertée dès le premier volet. Le personnage du psychiatre, « proto-docteur » Loomis qui s’avère finalement obsédé par la figure plus que par l’Homme derrière le tueur, est le premier moteur à peine exploité qui se fait assassiner de manière presque cynique – comme si les scénaristes avaient flairé la fausse bonne idée et la tuaient instantanément dans l’œuf.

Le deuxième opus redémarre la thématique avec l’effet de meute qui souhaite rendre justice en traquant Michael Myers, Laurie Strode, signe que les habitants de la ville située dans l’Illinois sont autant aux prises avec le Mal que le « boogeyman » qu’ils chassent. La problématique est que l’idée est annihilée d’entrée de jeu par un prêchi-prêcha politique idiot et vain (en résumé, que l’Amérique de Trump inciterait à l’auto-justice et au « survivalisme » quitte à envoyer la population au casse-pipe), faisant basculer le long-métrage dans la parodie mal fagotée, tiraillé par des enjeux peu clairs et un statisme horrifique à peine compréhensible – la Palme de l’étrangeté revient à la séquence « cartoonesque » où une patrouille de gentilés s’auto-massacre à coups de revolver en raison de leur incompétence arme en main.

Halloween Ends

Ainsi donc, les premiers films de la nouvelle trilogie avaient du mal à trouver un point de vue précis et une intention claire de la raison du retour de Myers, et sur ce qu’ils pouvaient en raconter – la faute donc à cette surenchère d’enjeux qui se court-circuitent et mènent dans une impasse embarrassante. Dans sa critique d’Halloween Kills pour le site Critikat, Josué Morel disait du film qu’il essayait dans sa pure logique post-moderne de « combler les trous » qu’avaient pu laisser volontairement John Carpenter et Debra Hill durant le premier film, comme pour appuyer la légitimité de créer de nouveaux chapitres autour du mythe masqué. Or, une fois toutes les brèches colmatées, que resterait-il à produire ? Halloween Ends tente d’y répondre, avec malheureusement peu d’efficacité. Ce dernier opus balaie tous ses enjeux immédiatement, par un montage-clip et une voix off qui explique l’essentiel des messages exprimés dans le diptyque initial. A ce moment-là, ce nouveau film semble s’ériger tant bien que mal sur une zone en friche, où les trois scénaristes au cœur du projet paraissent cultiver leurs axes de leur côté sans se soucier des plants des autres.

Les exemples analysés en introduction de cette critique prouvaient par exemple le parallèle entre Kenny Powers et la saga, sur l’idée des miroirs déformants et de la peur du reflet. Mais ces éléments ne se complètent pas, ils répètent la même intuition sans la creuser. Dès lors, Halloween Ends tourne en rond et fait patienter le spectateur jusqu’aux assassinats mis en scène de manière fonctionnelle. Aussi la différence tout de même notable entre les deux œuvres comparées est que Kenny Powers… est une comédie. Stevie Janowski, aussi fou et dangereux soit-il, fait d’abord rire parce que sa lâcheté, son physique particulier et sa voix éraillée sont un contre-point à la beauferie du rôle-titre fier de se parer d’une coupe mulet. Halloween Ends, quant à lui, est d’une étonnante solennité, fier de ses dilemmes moraux vus et revus et ferme dans sa pesanteur ennuyeuse. Le personnage de Corey, soumis à une binarité faciale risible (quand il sourit, il est fou ; quand il fait la tête, il est en plein doute), est un personnage dont on sent que David Gordon Green essaie de tirer de la compassion, quitte à essayer de subvertir l’avis des spectateurs pour lui.

Le souci de cette idée est que Laurie Strode, désormais figure déifique presque plus contestée ni par le formalisme du film, ni par les gentilés (seule une personne, une fois, lui fait une réflexion à ce sujet dans le long-métrage, comme si les scénaristes se dédouanaient d’un quelconque reproche que l’on pourrait leur faire à ce sujet), est bien trop présente et empêche Green d’embrasser pleinement la psyché de son nouveau psychopathe. En résulte alors une succession de saynètes ridicules, montées sur de la musique pop contemporaine, pour témoigner de l’incapacité du collectif d’écriture à homogénéiser les quelques pistes passionnantes qu’auraient pu creuser le film. Une séquence montre par exemple Corey se battre contre Michael Myers pour tenter de prendre sa place et son masque afin d’aller se venger de ceux qui lui ont fait du mal. Pour présenter ce combat, David Gordon Green les filme se disputer platement, dans un long plan large surcadré, au fond du caniveau où loge le tueur. Choix stupide tant il désacralise malgré lui autant la psychologie du jeune homme qui ne paraît pas très débrouillard à l’image, que le célèbre tueur qui ne parvient pas à se battre en raison de sa fébrilité due à son train de vie d’ermite. La scène, d’une mollesse saugrenue, aurait bien eu sa place dans un épisode de Kenny Powers, mais beaucoup moins dans un film d’horreur qui souhaitait amplifier sa noirceur au fil des minutes.

Halloween Ends

En outre, et parce qu’un Halloween ne serait pas un Halloween s’il ne contenait pas quelques séquences meurtrières, les choix de mises à mort du long-métrage éloignent complètement le projet de la saga. Vision post-moderne d’une nouvelle génération de tueurs (comme dirait le premier Scream : « les films d’horreur rendent les meurtriers plus créatifs ») ou fainéantise aberrante de l’équipe d’écriture, difficile de trancher. Dans tous les cas, personne n’aurait parié sur un « copycat » de Michael Myers qui élimine une personne en lui brûlant la gorge au chalumeau ou en roulant sur une jeune fille dans un « cut » très bref. Certes, ces scènes amusent par leurs crudités qui dénotent totalement de la gentillesse initiale du projet – la vengeance sanguinaire du tueur n’intervient vraiment qu’au bout d’une heure de film – mais jamais elle ne commente, complète ou s’aligne avec les standards d’Halloween.

A ce titre, quelque chose de faux et hors-sujet résonne dans Halloween Ends, qui a bien du mal à affirmer ses idées avec conviction et à les conclure avec panache, laissant en suspens de brillants axes au profit d’un récit convenu qui tourne en rond sur ses idées à défaut de les développer. David Gordon Green, dont le travail de réalisateurs inquiète malgré des débuts prometteurs (L’autre rive en 2004) et des sursauts sympathiques (Joe en 2014), aura fort à faire avec Danny McBride pour leur projet commun de trilogie autour d’un autre mythe célèbre du cinéma : L’Exorciste. Rassurons Michael Myers, le pire est sans doute à venir.

Bande-annonce

12 octobre 2022 – De David Gordon Green, avec Jamie Lee Curtis, Andi Matichak et Rohan Campbell.




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